LA D.B.-RENAULT BARQUETTE 1954
Après la piteuse prestation de la première barquette D.B.-Renault 1066 en 1953, préparée à la hâte, la Régie Renault ne se décourage pas et décide de poursuivre sa présence au Mans en 1954, toujours avec D.B..
Un vrai programme de course va être établi en vue de remporter au moins une catégorie.
Renault fixe des règles très précises pour cette nouvelle collaboration qui prévoit la construction de trois « Tank », deux pour Renault : les 2001 et 2002 et un pour DB, la 2003. Le 9 février 1954, Deutsch et Bonnet signent avec Pierre Lefaucheux, PDG de la Régie, un contrat pour la réalisation de trois voitures de course propulsées par des mécaniques 1063 (4 CV gonflées).
La lecture de ce contrat nous apprend que Renault fournit les mécaniques et participe au financement de l’opération, alors que DB conçoit, construit et exploite les voitures en course.
L’une d’elles restera la propriété de la marque de Champigny, tandis que les deux autres appartiendront à celle de Billancourt et devront lui être restituées à la fin de l’opération.
On y lit aussi – et ce n’est pas le moins intéressant – que si ce n’est pas l’objet de ce contrat, une série est tout de même envisageable, dont les modalités restent à définir.
Ainsi une fois de plus DB se trouve, et directement cette fois-ci, devant la possibilité de réaliser en série des voitures à mécanique Renault.
LE CAHIER DES CHARGES
Ces voitures expérimentales seront équipées de mécaniques de 4 CV d’usine développant 42 à 46cv.
Leur conception générale :
- Biplace sport, formule « Le Mans »
- Structure générale cherchant à maintenir aussi constante que possible les performances au cours de l’épreuve, donc la répartition du poids entre avant et arrière.
Ceci conduit à :
- Ensemble mécanique retourné
- Pilote aussi avancé que possible et assis au centre
- Réservoirs centrés, latéraux
CHASSIS :
- Constitué par deux longerons en tôle d’acier plié de part et d’autre du pilote
- Traverse avant sous la direction de façon à avancer le pédalier entre les éléments de suspension avant.
- Mise en place du train avant légèrement corrigé pour augmenter le carrossage et en réduire les variations au cours du débattement.
- Barre stabilisatrice reportée au niveau de la suspension pour permettre le carénage inférieur.
- Suspension arrière de série, avec inclinaison du ressort, pour revenir à flexibilité à peu près constante.
- Amortisseurs Messier
- Ensemble de la suspension réglée par Messier ; flèche sous charge un eu plus grande à l’avant qu’à l’arrière.
- Voue (séries) = 1m22
- Empattement 2m175
A cet allongement correspond un déplacement de la crémaillère pour rectifier l’épure de direction.
CARROSSERIE
Forme « Tank » classique.
La carène principale est un profil d’aile tronqué à l’arrière épais de moins de 15%, dont la fibre moyenne est peu bombée (moins de 2%)dont la corde a une incidence négative de près de 2°.
Cette carène se complique de :
- A) bosses sur les ailes
- B) sur deux modèles :
- Appuie-tête caréné (contenant la boite à eau du radiateur)
- Prise d’air latérale
- Saute vent accordé depuis le capot
- C) sur un modèle (ce sera le 2003 pour D.B.) :
- Radiateur frontal
La réalisation de ces voitures s’est ressentie de la date tardive à laquelle les plans nécessaires, puis la mécanique, ont été disponibles.
La réalisation du circuit de ventilation dans les deux premiers modèles, la technique de construction des 3 modèles (léger excès de poids) s’en sont ressenties.
Ci-dessus : Les barquettes 2001 et 2002 vues par GEDO.
On note l’absence de prise d’air à l’avant ou se trouve seulement des antibrouillards encastrés (1). Les entrées d’air pour le moteur placé à l’arrière sont situées sur les flancs (2). Le radiateur d’eau se trouve dans la dérive centrale et la roue de secours sous le renflement du capot avant (3).
LA CONSTRUCTION CHEZ D.B.
ANALYSE TECHNIQUE PAR MICHEL PIN
Préparées au sein de la Régie, sous l’égide de François Landon, chef du Service Compétition de la marque, et des André Riolfo, directeur des Etudes et Recherches. D.B. décide de réaliser des barquettes à poste de pilotage central, les règlements sportifs de l’époque l’autorisant pour les voitures de la catégorie sport, pour peu que l’on y aménage un espace théorique destiné à un non moins théorique passager.
Cette disposition a pour avantage d’équilibrer la voiture, ce qui a son importance pour des véhicules aussi légers, et de placer le pilote dans une position idéale.
D’ailleurs, les autres barquettes à mécaniques Panhard celle-là, obéiront au même schéma (pilote situé au centre) et l’on observera une similitude générale des formes dans la partie avant, équipée de phares joliment carénés.
Mais pour les voitures D.B.-Renault, la mécanique se trouve bien sûr à l’arrière et les impératifs des circuits de refroidissement liquides imposent un carénage assez relevé dans la partie postérieure.
D.B. résout le problème en dessinant un prolongement derrière le pilote, qui améliorera la finesse aérodynamique, servira d’appuie-tète et contiendra la partie haute du circuit de refroidissement.
Cela tout au moins pour les deux modèles construits pour Renault, qui ont leur radiateur situé derrière le moteur, la troisième ayant son radiateur installé à l’avant et un carénage arrière beaucoup plus bas.
Il n’est pas impossible que cette autre implantation ait été dictée par le désir de diminuer la surface latérale du véhicule, laquelle devait être de nature à déstabiliser la voiture par vent latéral ou au passage d’un concurrent beaucoup plus rapide, comme c’était le cas aux 24 heures de Mans.
De plus, la situation du radiateur à l’avant pouvait parfaire l’équilibrage de l’ensemble.
On imagine facilement que Deutsch et Bonnet aient été très intéressés de voir ce que l’on pouvait tirer de la mécanique de la 4 CV et de son implantation à l’arrière, avec les roues arrières propulsives.
Le problème était nouveau pour eux, qui n’avaient jusque là travaillé que sur des tractions, avec les mécaniques Citroën d’abord, puis celles de Panhard.
Après quelques errances dans les premières études de 53 (Rédélé se plaignait de ce que Deutsch lui avait refusé une barre stabilisatrice à l’avant de la barquette 1066 du Mans, ce qui selon lui aurait résolu ses problèmes d’instabilité), il semble que les gens de chez D.B. aient finalement assimilé les données du problème et trouvé les bonnes solutions puisque, selon les dires du rapport remis à Renault, les pilotes se sont finalement trouvés enchantés de la tenue de route des voitures. (Mais cela reste à vérifier).
Tout comme les modèles à moteurs Panhard, les châssis de ces voitures étaient en tôle d’acier pliée, avec deux longerons ajourés encadrant le siège du pilote et la mécanique.
Les réservoirs de carburant étaient disposés latéralement, centrés sur le milieu du véhicule, afin de ne pas jouer sur le centre de gravité, suivant s’ils étaient pleins ou vides.
(Cela justifiait aussi la position médiane du pilote).
Les carrosseries étaient en aluminium.
Les suspensions étaient dérivées de celles de la 4 CV, améliorées par Messier.
La direction directe et la boite de vitesse 5 vitesses venaient de chez Pierre Ferry.
L’empattement était légèrement plus long que celui de la 4 CV, afin d’améliorer la stabilité en ligne droite.
Les roues étaient à rayons, portées par des moyeux à fixation centrale.
Quel a été le sort de ces voitures en compétition ?
LE RAPPORT DE RENAULT APRES LA COURSE
Réussites lorsque tout a bien marché, malgré un manque apparemment crucial de puissance, échecs pour des causes mineures : bris de fixation de roues, de commande de boites de vitesses (fourchettes), surrégime dû aux efforts d’un pilote à essayer de suivre les voitures concurrentes plus puissantes.
Ce qu’il est convenu de considérer comme des maladies de jeunesse et qui représente les incidents normaux de mise au point d’une voiture, particulièrement en compétition, où la moindre faiblesse se révèle immédiatement, du fait d’une exploitation intensive.
Rien qui ne soit remédiable en tous cas, sauf peut-être pour ce qui concerne la puissance des moteurs, à laquelle seule la Régie pouvait apparemment pallier.
Ce qui s’est passé aux 24 heures du Mans reste un peu flou.
Nous disposons en effet de deux sources d’informations, et elles sont contradictoires.
D’après le rapport de D.B., les voitures étaient pilotées par les équipages Aunaud-Azéma, Lucas-Dreyfus et Storez-Vidille. Elles portaient respectivement les numéros 51,
La 52
et la 64, cette dernière étant celle appartenant à D.B., avec le radiateur à l’avant.
Toujours selon ce rapport, Aunaud aurait abandonné le premier, sur casse moteur (surrégime), puis Lucas sur bris de fourchette de boite et enfin Storez-Vidille auraient perdu une roue, suite à la rupture d’un moyeu.
A noter que les voitures étaient équipées de roues de 4 CV pour leur transport jusqu’au Mans (par la route et sous une pluie diluvienne) ainsi que pour le pesage, puis équipées comme prévu de leurs roues à rayons à papillon central pour la course.
Etait-ce pour épargner les belles et délicates roues à rayons?
Dans le livre de l’Automobile Club de l’Ouest sur les 24 heures du Mans, Aunaud n’apparaît pas, et le coéquipier d’Azéma est désigné sous le nom de Deburnay.
On voit pourtant bien Aunaud au volant de la N° 51 sur la photo prise avant le départ.
D’autre part, les abandons sont signalés comme suit: Storez-Vidille dans la première heure de course (commande de boite), Heldé (c’est le pseudonyme de Dreyfus)-Lucas dans la deuxième heure (même raison) et Azéma-Deburnay dans la douzième heure (perte d’une roue).
Qui faut-il croire?
Toujours selon le rapport D.B., Jean Lucas aurait participé avec succès au Grand Prix d’Amiens, gagnant sa catégorie.
Aux 12 heures de Reims, deux voitures étaient engagées pour Lucas-Galtier (un spécialiste des voitures de courses à mécaniques Renault) et Laureau-Vidille.
La première voiture aurait abandonné suite à un surrégime et après avoir changé un moyeu de roue cassé, la seconde sur bris de l’embrayage.
Enfin, Lucas aurait fini 5° au Grand Prix de la Baule, puis aurait abandonné au Tourist Trophy à Dunrod en Irlande après deux heures de course et alors qu’il était troisième au général. Notons tout de même que cette course étant disputée en réservant une avance aux voitures les moins puissantes afin d’équilibrer les chances, cette place de troisième n’est pas réellement significative, les écarts de départs étant calculés pour que chaque concurrent puisse atteindre la ligne d’arrivée au même moment, ce qui fait que les voitures les plus lentes ne sont dépassées qu’en fin de course par les plus rapides.
Cela dit, c’est tout de même D.B. qui a gagné cette course, avec une barquette à mécanique Panhard et pilotée par Gérard Laureau et Paul Armagnac, et devant tout le gratin du sport automobile de l’époque!
Lorsqu’on parcourt le dossier d’archives D.B., on s’aperçoit que Renault, qui semble au départ animé des meilleures intentions, finit par perdre patience devant l’apparente inertie, et surtout le manque total d’informations, de la part de son partenaire.
PEUT-ON EN VOULOIR A D.B. ?
En effet, on est alors tenté d’en vouloir à D.B. de n’avoir pas fait ce qu’il fallait pour que ça marche.
Il faut quand même bien essayer de s’imaginer ce qu’était la vie dans une entreprise comme D.B. à cette époque, et se rendre compte que l’on y vivait au jour le jour, palliant à chaque instant à quelque retard, incident ou insuffisance.
Il ne faut pas oublier que Charles Deutsch poursuivait sa carrière d’ingénieur à très haut niveau en dehors de l’entreprise et que René Bonnet devait être bien souvent débordé, entre les tâches de direction, de commerce, de gestion, de responsable sportif et même de pilote (il gagne l’indice de performance au Mans cette même année 1954, associé à Elie Bayol, sur une barquette à mécanique Panhard).
Cinq voitures au départ !
Pour une aussi petite équipe, c’est un drôle de sport…
Et puis, au regard des archives, on se rend compte que D.B. a mesuré l’inévitable inertie d’une aussi grande entreprise que Renault, qui ne pouvait pas matériellement réagir aussi rapidement qu’un simple préparateur et qui, selon toute apparence, n’a pas été en mesure de fournir des moteurs suffisamment puissants pour rivaliser avec la concurrence directe.
On peut donc penser que Deutsch et Bonnet se soient trouvés devant l’obligation de faire un choix entre les deux mécaniques Renault et Panhard, considérant que celles-ci sont essentiellement différentes, et même on peut le dire, de conceptions opposées : propulsion, tout à l’arrière, bloc fonte, quatre cylindres en ligne, refroidissement par eau, boite de vitesses de série à trois rapports pour l’une, traction, tout à l’avant, moteur bicylindre à plat en aluminium refroidi par air et quatre vitesses pour l’autre.
Développer deux modèles concurrents (étant donnée l’équivalence des cylindrées) à partir de bases aussi différentes n’était pas pensable et n’aurait pu amener qu’à des échecs, par faute des possibilités de développement, d’approvisionnement en pièces détachées, etc.
Il était donc sage, et même impératif, de choisir l’une des solutions.
Et l’on comprend que l’expérience acquise, la bonne relation avec l’usine, la légèreté mécanique, la puissance relativement élevée, la tenue de route facile à maîtriser pour des voitures de cette classe et la transmission de série à quatre vitesses aient fait tout naturellement pencher la balance du côté de Panhard.
Sans compter qu’il a pu y avoir des conversations qui n’apparaissent pas dans les rapports et qui mettaient D.B. en demeure de faire un choix.
A l’issue de cette saison comparative de 1954 entre les deux solutions, D.B. décide donc d’abandonner l’expérience avec Renault et de continuer comme avant avec Panhard, la coexistence des deux fournitures n’étant pas gérable, ni techniquement, ni commercialement.
Huit ans plus tard, au moment de fonder sa propre marque, René Bonnet reviendra sur ce choix, quand il se rendra compte que le bicylindre de la porte d’Ivry est en fin de développement et n’aura pas de descendance et que Renault lui aura présenté le moteur de la R8, beaucoup plus moderne que celui des 4 CV et Dauphine.
Que sont devenues ces trois barquettes ?
Si la 2002 participera à sa dernière course aux 12 h de Reims 1954 avec le n°67 aux mains de Laureau/Vidilles, la Régie Renault récupère ses deux Tanks 2001 et 2002 et les retire de la compétition pour des raisons commerciales afin de ne pas ternir son image.
Elles seront démontées et détruites.
Seule la 2003, propriété de D.B. va continuer la compétition :
Après les 24 H du Mans, elle participe à une course sur le circuit d’Amiens avec Lucas qui termine 1er de sa catégorie. Puis se seront les 12h de Reims les 3 et 4 juillet 1954 avec le N°68 qui abandonnera.
Les roues étaient à l’époque des Borrani en à rayons à serrage central c’est d’ailleurs d’ailleurs sur rupture d’un moyeux que l’équipage Lucas et Galtier alors 3ème de la catégorie
La petite DB continue sa carrière au Grand Prix de la Baule le 22 août 1954 avec Jean Lucas qui se classe 5ème.
En septembre 1954, c’est le Tourist Trophy avec le n°53. Là encore, abandon à cause de la boîte de vitesses au très éprouvant Tourist Trophy avec comme équipiers Jean Pierre Feuz et Lucas. Lucas abandonnera encore aux Mille-Miles 1955 à cause du moteur : elle portait le n°045.
En Mars 1956, un américain du nom de John Norwood achète la 2003 à la société E.P.A.F, (Etudes Pièces Détachées & Accessoires Fabrication Automobile) nom de l’entreprise qui fabrique les D.B. à Champigny sur Marne, à l’Est de Paris.
Il est en fait le directeur de la publicité du très célèbre mensuel américain dédié aux voitures de sport et de course, « Sports Illustrated » emmène Jean Lucas dans l’aventure américaine pour courir les 12 heures de Sebring 1956 au sein de l’écurie Lafayette mais ils abandonnèrent avant l’arrivée.
Elle continua sa carrière sportive aux mains d’un pilote américain, Jim Parkinson qui participa 4 fois en 1957 aux courses de Paramount où il se classa 3 fois 1er et une fois 2eme.
Elle remporta encore sa classe à Stockton en 1958 avec le Larry Albedi.
Elle fut aux mains d’un certain Datyl Verkerk -qui la conserva dans son incroyable état d’origine, (mécanique, peinture, numéro de course) et la vendit au bien connus marchands Raymond Milo et Carol Jahan, de BB one Export, installés à Los Angeles, qui la revendirent à un collectionneur français.
Elle sera exposée au Salon de Reims en 2014 sur le stand de l’Amicale D.B.
Aujourd’hui, elle est l’unique trace de cette première et brève association.
Elle va de salle des ventes en salle des ventes…
Charly RAMPAL (Journaux d’époque + Archives D.B. fournies par Roland ROY et Historique de Michel PIN)