PANHARD CD DU MANS 1962 CHASSIS N° 105

Dans le cadre de la célèbre épreuve du Mans Classic des 9-10 et 11 juillet 2010, une vente aux enchères avait été organisée par ARTCURIAL et sous la baguette d’Hervé Poulain. Parmi de nombreux modèles de prestige ou digne d’intérêt, figurait la Panhard CD d’Etienne De Valance. Les années passent implacablement et Etienne en homme sage et raisonnable qu’il a toujours été, s’est résolu à se séparer de « son bébé » non sans une très grande émotion qui alla jusqu’aux larmes. Des larmes qui montraient toute l’affection et l’attachement à une marque et un passé sportif qu’il fallait un jour ou l’autre ranger sur l’étagère des souvenirs.

Je vais donc revenir sur l’histoire de cette voiture et j’y ajouterai en témoignage les « mémoires de course » qu’Alain Bertaut a bien voulu communiquer.

RETOUR VERS LE PASSE

Pendant 15 ans, de 1950 à 1964, renouant avec une tradition sportive inaugurée en 1885 par la victoire d’Emile Levassor dans la course Paris-Bordeaux-Paris, première épreuve de vitesse du monde, et entretenue en Grand Prix jusqu’en 1908, la firme Panhard et Levassor participe directement ou par l’intermédiaire de ses clients aux compétitions internationales en exploitant les qualités de ses nouveaux moteurs bicylindres opposés à plat, refroidis par air et créés sous la supervision de l’ingénieur Louis Delagarde pour équiper dès 1946 la nouvelles série des Dyna.

Leur excellent rendement attire l’attention des constructeurs et préparateurs de voitures de course de petite cylindrée ainsi que les sportifs amateurs.
C’est ainsi que la firme DB de Champigny (fondée par Charles Deutsch et René Bonnet) adopta fin 1949 le moteur Panhard à l’instar de la société Monopole (producteur de pièces mécaniques) dont les voitures servent à promouvoir les fabrications.
De 1950 à 1953, Panhard n’est représenté en course que par des clients auxquels l’usine vend des organes mécaniques et des châssis qu’ils préparent en fonction des règlements en vigueur.
Ces clients de plus en plus actifs accumulent les victoires tant sur le plan national qu’international.

Conséquence des bons résultats obtenus par les voitures à moteurs Panhard dans leur catégorie, l’usine s’engage davantage en 1953 en créant une écurie officielle dont la direction est confiée à René Panhard assisté d’Etienne de Valance, également responsable des relations presse de Panhard.

La Panhard à carrosserie Riffart qui remporte l’indice de performances aux 24h du Mans encourage l’usine à structurer mieux son service courses.

En 1954, une DB-Panhard remporte la classe 750 cm3 et la Coupe biennale.
La coopération s’intensifie avec DB qui engage quatre voitures en 1955 (outre deux d’usine et deux Monopole).

Deux DB seulement sont à l’arrivée, sans autre résultat.

A la suite de l’accident qui endeuille l’épreuve cette année-là, l’usine renoue avec Monopole tout en reconduisant les accords de 1954 avec DB.

Sous la direction d’Etienne De Valance, l’équipe Panhard Monopole fait fonction d’écurie officielle de 1956 à 1958, année où Monopole arrête ses activités sportives.

Panhard se retourne vers DB qui devient l’écurie officielle sous le nom de Panhard-DB, accord qui court de 1959 à 1962.

Mais en janvier 1962, Panhard apprend par la Presse la rupture survenue entre Charles Deutsch et René Bonnet et le choix par ce dernier de moteurs Renault.

MM Panhard assistés par Etienne De Valance prennent alors contact avec Charles Deutsch en vue de construire des voitures pour les prochaines 24H du Mans, épreuve phare que Panhard ne pouvait manquer étant donné la valeur des résultats déjà obtenus.

Charles avait justement préparé avec l’ingénieur aérodynamicien Romani un projet de voiture de Grand Tourisme à moteur Panhard qui devait succéder à la DB HBR 5.

Paul Panhard donne enfin son feu vert fin janvier et une équipe technique s’attelle de toute urgence à la réalisation de cinq voitures prototypes (n° 101 à 105) avec le concours des ingénieurs motoristes et aérodynamiciens de la société Le Moteur Moderne et des carrossiers Chappe et Gessalin (futurs constructeurs des CG), chargés plus précisément de la fabrication des carrosseries en plastique stratifié, l’usine Panhard fournissant les organes mécaniques.

Par ailleurs, il faut compléter les contrats avec le pétrolier BP, chercher des fournisseurs d’équipements les mieux adaptés et surtout constituer une solide équipe de pilotes. La sélection a lieu les 7 et 8 avril à Monthléry et huit noms sont retenu. Toutes les tâches sont menées à bien en moins de deux mois parallèlement au suivi de la construction des voitures.

En moins de 70 jours, une voiture carrossée en acier (châssis 101) est prête pour des essais

A Monthléry au début avril 1962. Fin mai 1962, elle est engagée aux 1000 km du Nurburgring pour des essais réels en course avec un moteur 702 cm3 préparé par Le Moteur Moderne (équipage Boyer–Guilhaudin), 24ème au général et 2ème de la catégorie 1.000 cm3. Une deuxième voiture en stratifié est également engagée.

Au total, quatre voitures à carrosserie en fibre de verre et polyester seront construites (châssis 102 à 105) et essayées au Mans. Les moteurs sont des Tigre réduits à 702 cm3 et préparés par la société Le Moteur Moderne (MM) en vue du classement aux indices (de performance et énergétiques).

L’impossible pari a été gagné par une équipe extrêmement motivée et compétente, gérée par Etienne De Valance.

Trois voitures prennent le départ pour des 24 Heures 1962 :

N°53 (châssis n°103) : Alain Bertaut-André Guilhaudin – 1er à l’indice de performance
N°54 (Châssis n°104) : Lelong-Henrioud – abandon sur sortie de route
N°55 (Châssis n°105) : Boyer-Verrier abandon sur problème moteur car réglé très pauvre pour remporter l’indice énergétique.

Le châssis n°105 participe ensuite aux courses de côte du Mont-Dore, d’Urcy et de Chamrousse, équipée d’un moteur 954 cm3, toujours préparé par le MM et plus efficace en catégorie 1.000 cm3. Le 16 septembre, à l’occasion du passage du Tour de France Automobile, la voiture équipée du 702 cm3 spécialement préparée et légèrement modifiée au niveau de carénage atteint 207 km/h sur la ligne droite des Hunaudières. Les 22 et 23 septembre, le châssis n°105 participe à Monthléry aux essais et aux épreuves des Coupes de Paris, équipé d’un moteur Tigre de 848 cm3, préparé par MM, puis, le 21 octobre aux 1.000 km de Paris (essais et course) où elle termine quatrième de sa catégorie devant la Bonnet-Renault.

Les victoires des Panhard-CD rapportant à la marque le championnat de France pour les voitures de sport , ses pilotes , André Guilhaudin et Alain Bertaut, terminent la saison respectivement premier et deuxième du championnat de France des pilotes en catégorie Sport.

Après la saison, les voitures n°102, 104 et 105 sont cédées à la société Le Moteur Moderne et revendues plus tard à la liquidation de cette dernière.

La 105 offerte aux enchères le 5 juin 1984 sous le n° 40 par M° Poulain est achetée par Jean-Claude Aubriet, concessionnaire Peugeot à Evreux et ancien pilote des 24h du Mans (sur BMW et Corvette).

Après son décès en 1987 et comme promis, la voiture devient la propriété d’Etienne de Valance.

Révisée, elle est alors conduite par la route au Musée du Mans pour y être exposée et participer de temps à autres à des manifestations à caractère historique.

La voiture a été présentée à la vente dans sa configuration usine de 1962, mais avec un moteur de 848 cm3 avec deux carbu double corps inversés.

Seul le système d’alimentation par pompe électrique et canalisation de retour spécifiquement installé pour Le Mans a été modifié dans un souci de simplification.

De couleur bleu de France avec son intérieur noir très dépouillé, sans arceau ni ceinture comme à l’époque, elle possède toujours ses sièges baquet de l’époque simplement recouvert de vinyl noir.

Cette automobile de légende a trouvé acquéreur au prix de 140.000 €uros par un adhérent de l’Amicale DB.

MEMOIRE DE COURSE

Comme promis, je passe la plume à Alain Bertaut pour qu’il nous narre ses émotions à l’occasion de cette vente.

« Ce week-end des 23 et 24 juin 1962, reste gravé dans ma mémoire. Comment ne pas revoir le film de ces « 24 Heures » qui s’achève par une Marseillaise devant une foule considérable ? Jeune journaliste, déjà spécialisé dans les essais de voiture, il ne me serait jamais venu à l’esprit que, pour ma première participation dans la plus grande épreuve d’endurance du monde, je toucherai au but auréolé d’une victoire à l’indice de performance. Moment d’intense émotion, d’indicible fierté sur fond tricolore dédié à un constructeur français, Panhard, qui fut un précurseur de l’automobile et à une équipe française rassemblée autour d’un ingénieur exceptionnel : Charles Deutsch.

Tour commence quelques semaines plus tôt. Etienne de Valance, en charge du service de presse et de la compétition chez Panhard, m’offre de m’intégrer à l’aventure du Mans.

Le 8 avril, pendant les essais préliminaires et dans des bourrasques de grêle, je dois passer un « examen de passage » au volant d’une barquette prototype.
Examen réussi. Fin Mai, c’est le test de vérité (1.000 km) sur le « scénic railway » du Nurburgring.

Avec Guy Verrier comme acolyte, notre Panhard-CD termine 24ème et 2ème de la catégorie sport prototype de la catégorie moins de 1.000 cm3.

La participation au Nurburg avait été riche en enseignements. Pour ma part, malgré l’excédent de poids de la carrosserie en tôle, j’ai appris à connaître la voiture. J’en avais aussi mesuré les contraintes : en résumé, aller le plus vite possible, ménager le moteur un œil rivé sur le compte-tours, manier la boite de vitesses avec une grande douceur et ne pas martyriser les freins… !

Ces consignes bien ancrées dans la tête , arrive le grand jour. Une fois « marié » par E. de Valance avec André Guilhaudin – fin pilote fort d’une grande expérience – c’est la plongée dans le grand bain.

Tout s’estompe autour du stand, la foule n’est plus qu’un décor sans contours distincts, les énergies se concentrent sur la voiture, chaque personnalité s’efface devant les consignes que dicte Etienne de Valance.

Les essais se passent sans histoire. André a mission d’étalonner la voiture : il sera le lévrier, je serai l’homme de train.

Premier tour du grand circuit, la gorge serrée. Deux yeux ne suffisent pas pour tracer les trajectoires idéales, surveiller le régime du moteur le regard rivé sur les rétroviseurs quand les « gros bras » déboulent 100 km plus vite sur la ligne droite. Bien serrer la droite et … laisser faire !

A André le privilège de prendre le départ. J’attends dans le stand le moment de mon premier relais. Attente très longue du fait de l’autonomie de 3h30 que permet la capacité du réservoir. Et puis, le saut dans l’arène, moins impressionnant que redouté, le peloton étant étiré et la course ayant déjà pris le rythme.

La voiture d’abord, le chronomètre ensuite. Toujours répéter les mêmes gestes au même moment, au même endroit de circuit et, à chaque tour, jeter un coup d’oeil sur le panneau de signalisation qui donne les consignes du stand.
Tour après tour penser au terrible freinage de Mulsanne, au plongeon dans le toboggan d’Indianapolis, à serrer les dents pour, telle une bille dans une gouttière, passer à fond le « S »s de Maison Blanche.

A la tombée du jour, le soleil déclinant aveugle à l’approche d’Arnage.
Au petit matin, c’est le lever du soleil qui éblouit au sommet de la bosse de la passerelle Dunlop avant la descente vers le Tertre Rouge.
Ce rituel sans cesse recommencé n’a pourtant rien de monotone.
La concentration tient en éveil. Seule distraction ( ?) chercher la régularité maximale : grâce à la signalisation qui me relie au stand, j’essaie d’approcher au 10ème de seconde près le tour précédent.

Les changements de pilote se succèdent selon une procédure bien réglée : De Valance fixe le tempo selon le tableau de marche préétabli. André m’informe de la « santé » de la voiture et de l’état de la piste. Idem quand le lui cède le volant.

Surtout, repartir doucement en ménageant l’embrayage qui n’apprécie pas la montée vers la courbe Dunlop à la sortie des stands. Enfin, faire une reconnaissance minutieuse de la piste pendant le premier tour pour repérer les « pièges » : huile, gravier, sable…

Longtemps les heures passent avec le sentiment qu’elles ont la même durée.

Mais, vers le milieu de la matinée du dimanche, progressivement, les heures semblent s’allonger.
Plus le but approche, plus le temps ralentit.

Dans l’habitacle surchauffé, une crampe tenaille la jambe droite crispée sur l’accélérateur, l’oreille épie le moindre bruit du moteur, on ausculte la moindre vibration ou toute odeur suspecte.

Et toujours, cette interminable ligne droite des Hunaudières qui n’en fini pas de mettre les mécaniques à la torture.
On pense à tous ces tours jusque là bouclés avec une régularité d‘horloge. Alors arrive le dernier relais et, avec lui, peut-être une chance de victoire.
André repart pour la dernière fois : à lui de finir le travail. Toute l’équipe croise les doigts, on n’ose y croire…

Dimanche 24 juin, 16 heures : c’est gagné… !

La petite voiture bleue n°53 a rempli son contrat. Cent mètres après la ligne d’arrivée, l’embrayage explose !
Epilogue : sur la route de campagne qui nous mène à l’hôtel, où est prévu de diner offert par MM Paul et Jean Panhard, je roule à une cadence que la morale réprouve. Mon épouse Danièle, me rappelle à la réalité : « Alain, la course est finie et tu n’es plus sur le circuit ! »

Récit et photo Alain BERTAUT