En janvier 1962, la rupture entre Deutsch et Bonnet était considérée comme le point de départ d’une série de conflits qui risquaient de nuire à l’évolution de la voiture sportive française et que les efforts qu’accomplissaient Jean Rédélé, n’étaient pas récompensés.

Pourtant, à cette époque, les manifestations françaises d’un esprit de compétition sont trop rares pour ne pas les souligner avec ferveur.

Rappelons nous ce qu’écrivait la Presse à l’aube des années soixante sous la plume experte de Jean Bernardet.

« La compétition pure est non seulement gratuite mais exige beaucoup d’efforts et de sacrifices. Il fut un temps où, dans le domaine de la compétition automobile, l’audace était payante et où, avec de la bonne volonté et de la chance, il était possible d’obtenir de substantiels résultats. Ces temps hélas sont révolus.

Les grandes firmes ont à ce point compris l’importance des manifestations sportives que, bien que retirées de la compétition, elles accordent à des intermédiaires une aide fort substantielle sous la forme de pièces, d’études particulières et de quelques dizaines de millions.
La plus belle illustration de ces interventions indirectes reste le tandem Fiat-Abarth, dont les succès sont dus précisément, à une collaboration efficace bien que non officielle.
En France, il y a DB et il y a Alpine.
DB avait misé sur la mécanique Panhard et Panhard a jusque là, répondu en accordant depuis le début des années cinquante, une assistance mécanique, technique et financière précieuse. Nous n’avons pas été toujours d’accord avec Panhard principalement lorsque cette firme créa son propre service de compétition en concurrence directe avec DB qui avait fourni un très gros effort.
Mais les choses sont rentrées dans l’ordre et il n’y a lieu que de louer la persévérance de Panhard dans l’effort pour la compétition.

LA RUPTURE

Et puis, il y a eu le drame. Les mois s’écoulant, il devenait évident qu’une rupture entre D et B était inévitable.
Dans l’association, D était une tête, un cerveau, B un réalisateur de talent. 1961 a concrétisé cette rupture latente depuis longtemps.
Deutsch devait suspendre son apport technique et Bonnet entreprendre deux réalisations personnelles, une Junior et une voiture de sport à moteur arrière qui furent toutes deux des échecs.
Deutsch, de son côté, entreprit de mettre sur pied un bureau d’étude idéal regroupant les plus grands noms français des différentes disciplines de la technique d’une voiture de compétition.

Délaissant l’arbitraire, le bricolage et les heureux hasards, cette équipe neuve commence à chercher la solution systématique et raisonnée des principaux problèmes à l’aide de la planche à dessin, du banc d’essai et de la soufflerie.

CONFLIT A PROPOS D’UN CABRIOLET

Pendant ce temps, un conflit naissait entre ce qui restait de DB et Panhard.

A qui voulait l’entendre, et même le publier, René Bonnet ne manquait pas de dire que Panhard entreprenait une concurrence insidieuse et italienne.
A ce moment de la crise, car il s’agit bien d’une crise grave, il convient de préciser que DB avait été prévenu dès les premières rumeurs confirmant l’étude du cabriolet « Le Mans » d’une création identique et même plus valable de la firme italienne de Panhard « Panauto ».
Il fut précisé, dès cet instant, que Panhard accordait son entier concours à la permanence d’un coach comme celui qui existait alors et qui au besoin être amélioré mais parallèlement déclinerait toute responsabilité dans une concurrence éventuelle et gênante pour DB.

L’avertissement a été périodiquement renouvelé sans que cela altère le destin du cabriolet DB fort handicapé.

Nous n’avons pas, loin s’en faut, toujours été d’accord avec le comportement de Panhard avec DB, mais cet aspect du problème actuel est tout au crédit de Panhard qui s’est comporté de la façon la plus correcte.

DES BRUITS… CONFIRMES

Pendant ce temps, l’équipe Deutsch abattait de la besogne et un contact était établi avec les responsables de la Régie pour la transposition raisonnée, sérieuse et efficiente des nouvelles mécaniques pour un usage sportif pouvant rivaliser avec les meilleures réalisations étrangères. Ces contacts, strictement amicaux, n’engageaient en rien la Régie qui se voyait seulement proposer un concours d’éléments sérieux et valables dans une confrontation nettement serrée que rien ne pouvait être laissé au hasard.

Parallèlement, Jean Redelé, auquel la Régie Renault doit tant, travaillait d’arrache–pied et ses dernières voitures laissent espérer bien autre chose que de la figuration dans les grandes épreuves internationales.

Il n’était pas exclu, d’ailleurs, que les efforts de l’équipe Deutsch et ceux de Jean Redelé, se rejoignent pour un bénéfice plus immédiat, pour une expérimentation plus utile, pour une confrontation sérieuse de l’expérimental et du pratique.

L’expérience de Jean Redelé des mécaniques Renault devait participer, évidemment, au succès final. Tout cela était en chantier, posément, sérieusement, efficacement surtout.

Et puis, la bombe a éclaté : depuis octobre 1961 des bruits couraient selon lesquels René Bonnet avait entamé des pourparlers avec les dirigeants de Billancourt. Soudain, tout s’est confirmé, comme « L’Equipe » l’a confirmé le 15 janvier 1962.

On sait que des ensembles mécaniques Renault ont été livrés à Champigny chez René Bonnet, sans que Panhard en ait été averti.

Voici les faits. Quelles seront les conséquences ? Nous le saurons au fur et à mesure. Pour l’instant, nous devons faire des réserves. Bonnet a réussi avec Panhard, comme en témoigne les palmarès, mais il n’a vraiment bien réussi qu’en collaboration avec Charles Deutsch.
Livré à lui-même par sa propre volonté, ayant à travailler sur le moteur qu’il ne connait pas encore bien – en tout cas qu’il connaît beaucoup moins que le moteur Panhard – quels résultats obtiendra-t-il et dans quel délai ? Dans ces conditions on peut se demander aussi si la Régie Renault n’a pas commis une erreur en accordant officiellement sa collaboration à René Bonnet SEUL et non pas CONCURREMENT à Bonnet, Deutsch et Rédelé…

La solution choisie risque de retarder sinon de stopper une évolution sportive qui s’annonçait fructueuse grâce, répétons le, aux travaux sérieux de Charles Deutsch (et de son équipe de techniciens) et de Jean Redelé. ».

Quelle est la position de Panhard devant le « changement d’orientation » de René Bonnet qui a reçu de notre constructeur doyen une aide financière et technique complète depuis plus de 10 ans ?

La question a été posée à Etienne De Valance, qui a toujours suivi de très près les problèmes sportifs et a participé activement à la préparation des compétitions, en accord avec René Bonnet. Il se fait ici le porte parole de M. Jean Panhard :

« Nous sommes étonnés : nos accords avec René Bonnet étaient bien établis ; ils ont été reconduits récemment. Nous sommes donc étonnés et déçus de n’avoir été avertis ni par René Bonnet ni par la Régie, car nous entretenons avec l’un comme avec les dirigeants de Renault des relations suivies ? Or, nos seules sources d’information en la matière furent la presse et la radio !

Nous savons bien qu’en 1954 DB a couru au Mans avec des mécaniques Renault – sans succès d’ailleurs – mais, depuis cette date, René Bonnet a pris à notre égard l’engagement de ne pas changer de fournisseur pour ses ensembles mécaniques sans nous en informer. Or, il découle des informations que c’est ce qu’il vient de faire !

Nous avons passé des accords avec D et B. Il nous semble que ces accords ne peuvent être dénoncés par Bonnet seul.

Enfin, il faut noter que nous avons consenti des efforts importants depuis plus de dix ans en faveur de DB : nous lui avons en particulier confié notre représentation exclusive en compétition. Avouez que ces efforts ne sont vraiment pas récompensés. ».

La question suivante a été ensuite posée à Etienne De Valance concernant la position qu’allait prendre Panhard à l’égard de René Bonnet et si, en particulier, Panhard allait continuer à livrer des ensembles mécaniques à la « Société des Automobiles René Bonnet » et pendant combien de temps ?

« Pour l’instant, a répondu Etienne, il n’y a rien de changé, et ce d’autant plus que, je le répète, nous ne sommes toujours pas informés des intentions de René Bonnet qui, dans les premiers jours de janvier, nous demandait encore à voir nos services techniques pour savoir de quels moteurs il pourrait disposer pour les prochaine 24h du Mans. Or, nous venons d’apprendre officieusement que René Bonnet courrait au Mans avec des moteurs Renault. Vous voyez donc que nous ne pouvons rien décider. »

La suite, on la connaît : Charles Deutsch et Panhard relèveront le défi avec la mécanique Panhard et René Bonnet avec la mécanique Renault, dont les premiers essais se dérouleront au printemps à Monthléry aux mains de Jean Vinatier entre autres.

A la suite de cet accord, la télévision française avait délégué à Champigny Claude Joubert, spécialiste à l’époque de la rubrique automobile, pour interviewer René Bonnet et les conséquences qui en découlent. Voici donc ce reportage visuel conservé par l’INA.

Charly RAMPAL sur des documents du journal « L’Equipe »