Nous étions le 3 septembre 1997. J’avais reçu quelques jours auparavant une invitation personnelle du Club des Racers 500, alors animé par l’infatigable Henri Julien, pour me rendre sur le circuit de Mortefontaine dans l’Oise, afin d'assister à une tentative de record.

A l’aube des années 2000, une telle tentative parait tout à fait inattendue et totalement passée de mode ! Mais mon admiration pour ce constructeur de monoplaces AGS m’incitait à prendre au sérieux ce souhait et lorsque j’appris que son compère n’était autre que Bernard Boyer, alors là, je fus conquis.

Pensez, un tandem Henri Julien / Bernard Boyer ça avait de la gueule ! Ce dernier était l’enfant terrible (d’efficacité ) des années soixante. Champion de France des Monomill, puis un des meilleurs pilotes de la formule Junior sur Lotus, constructeur de la SIRMAC et enfin, celui par qui le CD gagna l’indice aux 24 Heures du Mans 1962, avant d’aller chez Matra, pour laquelle il participa aux succès que l’on connaît.

Non, le plus étonnant est cette turbulence de deux personnages qui ont connus tant d’heures de gloire, mais aussi de désillusion, comme le sport automobile peut en donner.

L’IDEE

A l’âge où certains cultivent sagement leur jardin ou font sauter sur leurs genoux leurs petits enfants, ces « papy » avaient décidé de faire de la résistance.

En cette année 97 donc, Henri Julien avait 70 ans, dont le plus beau fait d’arme était d’avoir porté son écurie AGS de Gonfaron jusqu’en Formule 1 de 86 à 91.

Bernard Boyer, lui, avait 63 ans, sa fonction d’ingénieur chez Matra le portera à accrocher à son palmarès 3 victoires aux 24 H du Mans (excusez du peu… !).

Un an auparavant, en 1996 donc, comme les « petits vieux » du Muppet Show, assis sur un banc du village du Beausset, ils avaient décidé de donner un dernier coup de folie à leur vie.

Quel challenge tenter dans le cadre des activités au sein du Club Racers 500 ?

Après maintes réflexions, ils sont tombés sur un vieux record de vitesse sur 4 roues en 500 cc, datant de 1953 et détenu par John K. Brisse sur Atnnott équipée d’un 500 Norton à 189,512 km/h.

Puis, sur celui de Piero Taruffi sur Tarf à moteur Gilera compressé à 200,785.

La décision était prise !battre le record de l’heure en 500 cc atmosphérique.
Objectif : dépasser les 220 km/h.

LA REALISATION DE LA VOITURE

Boyer se remit à sa planche et sa règle à calcul.
Printemps et été 96, les plans de la future voiture de record furent établis.

Le choix du moteur est arrêté : ce sera un Honda bicylindre et Michelin pour les pneumatiques.
Deux partenaires dont on connaît le talent et l’engouement pour les défis.
Ce moteur 500 CB n’était pas un foudre de guerre avec ses 58 cv promis qui se traduiront en 49,7 à 10.000 tours au banc, mais il avait une santé de fer !.

Les sous-traitants du Var furent sollicités.
Ils y trouveront des « Docteurs en soudure » pour le châssis et les suspensions, en tubes d’acier de section ronde

et les experts en résine et fibre de verre pour la carrosserie.
Ce sera Z6, une entreprise installée près de Toulon et dirigée par J.L. Guignabodet, un gage de qualité, même si l’option est onéreuse. Boyer veut mettre toutes les chances de son côté : à faire les choses, autant les faire bien !

On n’était pas encore à l’ère de la fibre de carbone et malgré tout cette carrosserie bleue de France est d’une qualité exceptionnelle.

Légère, 2 mm d’épaisseur, profilée, avec un vrai Cx de 0,25 et surtout un maitre-couple très bas : la voiture ne dépasse pas 97 cm de large !

En quête d’un poids minimum, Boyer se mit à la chasse du moindre gramme inutile.
Il sollicita Michel Rouillot pour les transmissions.
Les pignons et la chaine à faible frottement seront des Afam.
L’incontournable Koni pour les amortisseurs
Stac pour les ressorts et barre anti-roulis.
Patrick Jamin pour la crémaillère et les étriers de frein.

Son poids est de 285 kg et on espérait 380 en ordre de marche.
Le pilote sera Bernard Boyer, lui-même pesant 72 kg.

L’année 1997 venait à peine de commencer que Bernard Boyer entreprit la construction du châssis, des suspensions et des équipements.

Boyer et Julien avaient engagé leur propre finance pour cette aventure. Cependant au mois de Mai, Henri Julien jettera l’éponge ne pouvant plus assurer la suite des dépenses.

La voiture était presque finie, Boyer ne pouvait pas abandonner en vu du drapeau à damiers ! Il assurera donc tout seul la charge qu’il restait.

Dès lors, la division entre les deux hommes ne cessera de s’agrandir.

Puis ce furent les diverses démarches auprès de la FFSA : « il fallait débroussailler le maquis », comme le disait Boyer.
Heureusement, il eut comme correspondant Jean Vinatier qui mit de la bonne volonté.

Mais cela n’empêchera pas une flaupée de lignes réglementaires avec le coût qui va avec (combien coute déjà un PTH aujourd’hui ? Renseignez-vous !).

LES ESSAIS

C’est sur le circuit Paul Ricard, à une portée de fusil du Beausset, qu’eurent lieu les premiers tours de roue, le lundi 26 mai 1997 à partir de 18 heures, car il fallait réserver le circuit en exclusivité à cause de la conception même de la voiture.

Ainsi quelques problèmes aérodynamiques et de fonctionnement furent résolus, même si la ligne droite restait trop courte et son revêtement trop lisse pour se mettre dans les conditions réelles du record.

LA TENTATIVE DE RECORD

Le premier contact avec la piste de Mortefontaine eu lieu le samedi 21 juin.

La piste, gracieusement prêtée par Matra et Renault qui en étaient les co-utilisateurs, est un anneau de même acabit que Monthléry, mais avec un revêtement du type F1.

Le tracé était simple : deux immenses virages relevés, reliés entre eux par deux très courtes lignes droites.

Ces virages relevés, dont le profil était progressif, portent à 200 km/h la vitesse maxi en « mains libres », donc sans effort sur le volant.
3 couloirs de circulation sont délimités par deux lignes de couleur.

Bernard effectua 30 tours pour choisir la bonne ligne afin de la faire valider par la FFSA : il fallait trouver la bonne trajectoire pour que la voiture se freine le moins possible au raccordement et en correction au volant, car il fallait dépasser les 225 km/h en continu.

Avant de plier les gaules, une dernière journée d’essai « test-type » se déroula le 26 juillet sur 30 mn à fond absolu, afin de valider tous les paramètres.

Etant sur place, Boyer et son équipe décidèrent de retenir le circuit pour la date du 3 septembre, ce qui lui laissait le temps de lancer son programme d’organisation administrative : journalistes, invités, sécurité, horaires, etc …

Pendant ce temps, la voiture retournerait chez le carrossier Z6 pour parfaire la finition et un ultime passage à la peinture avec polissage, comme le font aujourd’hui les équipes de F1.

Mais également le moteur qui fut déposé pour tout vérifier après cet usage intensif.

LE RECORD

Nous sommes le 3 septembre 1997.
Du soleil et pas de vent, les conditions météo étaient idéales.
Dès 10 heures, la FFSA, la presse, les amis,… enfin tous les ingrédients étaient réunis pour que la sauce en mode « record » prenne parfaitement.

Dans l’ombre d’un hangar, toute l’équipe technique s’agitait autour de la voiture sous les directives de Boyer.
La quantité d’essence avait été calculée au plus juste à partir des paramètres suivant :
- consommation « ouvert en grand » = 9 litres aux 100 km.
- distance à parcourir = 220 km + le trajet jusqu’à l’anneau + 4 ou 5 tours de chauffe + un tour de procédure de départ. + une marge de sécurité.
Boyer ordonna de mettre 30 litres.

Enfin, quelques consignes au service de sécurité sur la base d’un retournement vu l’étroitesse des voies.

Bouclé dans son étroit habitacle, par le fidèle Roland Langlois, Bernard Boyer rentra dans une profonde concentration.

Tout allait se jouer à partir de 12h 10, quand la petite voiture bleue s’élança comme aux plus belles heures des années cinquante.

Equipée d’une boite longue, un tour de lancement fut nécessaire pour que le moteur atteigne les 10300 tours sur le sixième rapport.

Pas de différentiel, une transmission pas chaîne, elle devait tourner en moins de 48’’5 au tour.
L’allure se stabilisa à 48’’3 !

A coup de trajectoires impeccables et respectées, la petite voiture bleue couvrira 221,9 en une heure : un record de plus de 40 ans venait de tomber !

La distance atteinte, Boyer en perfectionniste qu’il est, réalisa un tour de plus au cas où…

Puis un autre pour refroidir le moteur, cette mécanique japonaise qui l’avait porté au sommet sans le trahir.

Le reste ne sera plus qu’un défilé de congratulations et de séances de photos où tout le monde voulait se faire des souvenirs à côté du héros du jour.
Comme celle officielle où l’on voit da gauche à droite : Henri Julien, Bernard Geoffroy, François Chevalier (un peu caché), Bernard Boyer en tenue de pilote, Jean Vinatier ; Alin Bourdarias, le Chronométreur officiel et commissaire en VEC.

Un buffet campagnard nous attendait dans un hangar tout neuf où la voiture fut déshabillée.
Moment d’émotion d’une passion mise à nue.

Puis les questions fusèrent sur un Bernard Boyer radieux, heureux comme un gamin qui vient de réussir un bon coup au monde automobile et tous ses interdits !

Très éloquent , Bernard était peu avare de détails jusqu’à nous apprendre le coût de ce projet : 300.000 Francs et 150.000 Francs de frais annexes, le tout en grande partie financé par lui-même.

Alors heureux ? Oui, car à plus de 60 balais, il a été encore capable de fortes émotions… « Promis, maintenant, je reste tranquille ! ». Mais pas avant une dernière photo au Paul Ricard pour le Bol d’Or :

Chapeau l’artiste…

Charly RAMPAL (Photos : collection Bernard Boyer)

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