LES RECORD DE LA PANHARD DE CHANCEL EN 1954 : ACTION/ANALYSES
C’est en juillet 1954 que Pierre Chancel va courir et gagner les 12 Heures de Reims avec la même voiture Panhard (présentée dans mon article précédent) mais munie du moteur Panhard 750 cc.
Cette épreuve est particulièrement intéressante en raison de sa grande ligne droite qui permet de hautes vitesses.
Chancel atteignit sur le circuit une moyenne de 151 km/h (180 km/h en vitesse pure), alors que le premier modèle avant Riffard et pilotée par Navarro, avec le même moteur, ne faisait que 142 km/h.
Cet écart donne la mesure du gain de finesse obtenu par la carrosserie hautement aérodynamique.
C’est alors que la Société des pétroles BP encouragea Chancel à s’attaquer au challenge de « L’Automobile », tentative qui tenait particulièrement au cœur de la BP depuis plus d’un an et qui n’avait pu être entreprise jusqu’alors à cause d’une question technique pas encore aboutie.
Il s’agissait de parcourir plus de 200 km dans l’heure avec une 750cc !
Pour cela, il fallait encore davantage de puissance.
Chancel se souvenait avoir vu en automne 1953 une Dyna Junior équipée d’un compresseur Constantin dont les départs étaient foudroyants.
Alexandre Constantin est tout à la fois un coureur qui s’intéresse depuis longtemps aux compresseurs et un constructeur-mécanicien habitué à la haute précision.
Il monte, en particulier, un compresseur sur les moteurs Peugeot pour courir au Mans. Le modèle qu’il utilise pour la voiture de Chancel est un volumétrique à trois lobes, construit sous la licence d’Emile Petit, entrainé par des courroies trapézoïdales dont la poulie se superpose à celle de la distribution, à l’avant du moteur.
Ce « capsulisme à profil conjugué », dont le dessin a été popularisé par Roots, est une invention vieille de trois siècles !
Sous sa forme moderne, elle nécessite une exécution très précise, sans frottement et avec un minimum de jeu ainsi qu’une parfaite synchronisation du mouvement de ses deux rotors.
Le compresseur Constantin, tant stator que rotor, est réalisé en A-S4G.
Ce modèle donne une suralimentation de 550 gr. Comme il dépassait le profil de la carrosserie, sa présence nécessita un soufflage du capot avant dont le profil prit alors un air de famille avec la nouvelle Dyna dessinée par Louis Bionier.
Constantin avait mis au point de son côté, les questions d’alimentation.
Il fournit également les pistons qui, pas plus que le compresseur, ne causèrent aucuns soucis.
Il fallut bien entendu adapter la quatrième vitesse aux allures envisagées et régler la suspension pour assurer le confort du pilote et la tenue de la voiture sur la piste de Montlhéry, terriblement dure à ces vitesses.
Pierre Chancel fit une première tentative contre l’heure le 14 octobre.
Malheureusement après une trentaine de tours, il dut abandonner à la suite d’un déchapage dû à l’emploi de pneumatiques qui se révélèrent inappropriés.
On notera avec intérêt que c’est le même chef mécanicien, Lucien Levert, qui assura la mise au point surla piste de la voiture de Chancel, comme il l’avait fait 20 ans plus tôt, pour Eyston, la mise au point de la voiture huit cylindres Panhard du record du monde de l’heure à 214 km/h de moyenne.
LA CONTRIBUTION DE LA TECHNIQUE PETROLIERE
On constate alors combien ce record était difficile et dangereux.
Pour aborder une seconde tentative avec moins de risques et l’espoir de performances très élevées, il fut décidé de poursuivre le perfectionnement du moteur et des pneumatiques.
Le bon fonctionnement du compresseur et son étanchéité nécessitait le graissage de ses parois, tant fixes que mobiles, avec de l’huile de ricin qui était ajouté au combustible.
Or cette huile produisait des dépôts à l’inférieur du carter, ce qui risquait d’amener à la longue des troubles de fonctionnement.
Jean Chenevier, Directeur-général adjoint de la société française des pétroles BP et Henri Le Boloch, son chef des services Lubrifiants et Courses, qui suivaient avec attention les efforts de Panhard et de Chancel, demandèrent alors à l’Institut Français du Pétrole, organisme de recherches scientifiques présidé ar René Navarre, de se pencher sur cette question épineuse.
Il s’agissait de trouver un corps ayant des propriétés lubrifiantes au moins égale à celles du ricin mais possédant une stabilité et des conditions de décomposition telles que son utilisation tout au long du circuit ne se traduise pas par une formation de dépôts.
A l’Institut Français du Pétrole, dans les laboratoires de M. Hugel, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure du Pétrole, avait été préparé un produit dont on pouvait penser qu’il était capable de résoudre le problème posé, en raison des autres applications auxquelles il s’était déjà prêté.
Ce fut le mérite de M. Courtel, agrégé de physique et normalien, docteur ès-sciences, chef du département des lubrifiants à l’Institut Français du Pétrole, d’établir l’identité scientifique fondamentale du problème et des applications précédemment réalisées.
Le produit envisagé fit la preuve effective de ses qualités en réduisant les dépôts au ixième de ce qu’ils étaient.
Il fut ajouté au carburant sous forme de dope.
Ce carburant avait lui-même, uns composition spéciale : sa forte chaleur latente de vaporisation évite les points chauds et recule efficacement l’apparition de la détonation.
En fait, on a pu utiliser un rapport de compression de 6,4.
Les culbuteurs, munis de dispositifs à rattrapage de jeu hydraulique imaginés par Louis Delagarde, permettaient à la distribution de suivre jusqu’aux plus hauts régimes.
En fait, les résultats au banc furent sensationnels et, dit-on, le 750 cc développe une puissance double de celle du 5 cb 850 cc de série que l’on donne officiellement pour 42 ch à 5.500 tours à taux 7,25.
Ces 84 ch correspondent à un rendement de 112 ch au litre…
Les essais d’endurance au banc furent prolongés : ils nécessitèrent 1.500 à 1.600 litres de combustible et le mystérieux dope, fabriqué avec un appareillage de laboratoire, n’arrivait qu’en quantités tout juste suffisantes.
Le moteur tourna au moins quarante heures à pleine charge et, plusieurs fois, il fit l’heure « pleine gomme » à 6.300 tours, alors que Chancel, sur la piste, ne devait avoir besoin que de 5.600 tours et que le conducteur d’une Dyna se contente de 4.500 à 5.000 tours, avec une charge bien inférieure sur les pistons et les soupapes.
L’huile utilisée pendant tous ces essais était l’Energol SAE40 « cinq fis raffinée » qui donna une nouvelle preuve de ses hautes qualités.
La rigueur de ces essais était due au désir d’éviter tout incident au cours de cette tentative : si le moteur se bloquait en pleine marche, c’en était fait de Chancel.
Egalement si un pneu éclatait…
TROIS MILLIMETRES DE GOMME
Le soin de la bonne solution de cette dernière partie du problème échut à M. Lallemand, le spécialiste des courses chez Dunlop qui « composa » le pneumatique du record.
Il s’agissait d’établir une petite roue de 5,50 x 15, soit 662 mm de diamètre, capable de tourner à plus de 1.600 tours à la minute, sans que la chape de caoutchouc s’arrache sous l’effet de la force centrifuge et, surtout qu’elle soit capable de résister aux conditions particulièrement dures qu’impose l’anneau de Montlhéry.
Cet autodrome, qui fut une merveille en son temps, est aujourd’hui bien dépassé.
Le principe de ses virages relevés est de compenser la force centrifuge par une inclinaison transversale de la voiture de telle façon que la force résultante reste normale au plan de roulement.
Il en découle que les voitures, quel que soit leur poids, s’étagent dans les virages en fonction de leur vitesse.
L’autodrome ayant été réalisé en 1924 par Lamblin et Jamin pour une vitesse maximum de 200 km/h, Chancel fut obligé de se tenir à quelques centimètres du bord de la piste et, deux fois par tour, le passage de la ligne droite à la courbe chargeait d’un façon importante le pneu avant droit qui avait à supporter la plus grosse partie de l’effort, puisqu’à Montlhéry on roule en sens inverse des aiguilles d’une montre et que la roue avant droite se trouve à l’extérieur.
Pour donner une idée de ces surcharges, on eut dire que la voiture de Chancel, qui pèse environ 600 kg en ordre de marche, supportait 450 kg de pus du fait de la force centrifuge.
Lallemand combina un pneu très mince, avec des toiles très résistantes, recouvertes de 3 MM de gomme seulement, ce qui limitait les efforts centrifuges et réduisait l’échauffement (le caoutchouc mauvais conducteur de la chaleur, est difficile à refroidir ).
Cette gomme, mélange de caoutchouc et de différentes charges, était cuite sous haute pression pour obtenir une dureté suffisante.
On connait le résultat, que nous rappelons : 202,880km dans l’heure, le meilleur tour à l’entrainement 208,492 km. Pierre Chancel mérite tous les compliments, car il a su conduire sa course avec beaucoup de sang froid et d’habileté.. à l’extrême bord de la piste, à quelques centimètre du bord à une époque où n’y avait pas encore de double rails de sécurité comme aujourd’hui.
Tout ne se passa d’ailleurs pas sans incident.
Certaines parties des virages sont déformés par des dislocations de la charpente en béton : il en résulte des dénivellations qui produisent de violents cous de raquette.
A un certain moment, la rue avant droite, la plus chargée, toucha, ans un rebond, la partie supérieure de son logement ce qui, en arrachant un peu de caoutchouc, amena un déséquilibre du pneu, d’où des vibrations et une usure accrue.
Chancel sentant la caoutchouc brulé, comprit le danger et il réduisit la vitesse pour passer sur la mauvaise zone, accélérant lorsque la piste redevenait correcte.
A la fin de l’heure, on constata que si trois pneus était encore en très bon état, capables de rouler deux heures de plus, par contre l’avant droit était complètement usé sur le tiers de sa périphérie.
Le moteur, démonté, ne présenta aucune trace d’échauffement anormal : cylindres et carter en alliage léger, bielles à large embase, embiellage à rouleaux sans glissement, tout était en parfait état, sans encrassement ni dépôt dans les larmiers.
De même pour la boite de vitesses, les trains avant et arrière qui étaient des pièces de série, aux multiplications près…
LES ENSEIGNEMENTS A TIRER DE CETTE PERFORMANCE
On peut maintenant poser la question « Pourquoi Panhard s’intéresse-t-il à la course ? »
La Maison doyenne de l’automobile a courue autrefois, s’est arrêtée, puis avec la Dyna elle est revenue à la performance sportive.
Pour un industriel, cette affaire offre deux aspects, l’un technique, l’autre publicitaire.
Le second ; bien qu’intéressant, n’est pas déterminant car une écurie de course coûte très cher et prend beaucoup de temps.
Par contre, la performance peut être le prolongement du banc d’essai et la vérification concrète de ses enseignements à condition de ne construire des machines spéciales et d’utiliser en course les mêmes organes que pour la série, ou bien des pièces que l’on envisage d’appliquer à cette série si elles donnent satisfaction en course.
Il convient aussi de se limiter à certaines épreuves compatibles avec cette politique.
C’est pourquoi, lorsque Panhard tire en course deux fois plus de puissance de son embiellage que sur le groupe standard, il sait que ce résultat mesure la marge de sécurité qu’offre au client le moteur de la Dyna, car qui peut le plus peut le moins.
Même chose pour la distribution et les soupapes.
Cette politique est également celle des autres membres de l’équipe.
Pour BP, le nouveau dope sera un adjuvant dont l’emploi pourra être généralisé car, sur un moteur ordinaire, il réduit la consommation et augmente la puissance.
Pour l’Institut du Pétrole, ces performances sont une occasion précieuse d’observer ce qui imite encore la qualité des produits et d’obtenir des renseignements rapides sur les relations qui existent entre leurs structures et tous les éléments du service que l’on attend d’eux.
Le succès de ce dernier essai de collaboration à une telle performance est un exemple encourageant des services que l’Institut peut rendre à l’industrie automobile et à celle du pétrole, grâce à ses travaux et à l’existence de ses installations d’essais, largement tenues à la disposition de tous ceux qui désirent en obtenir le concours.
Si pour Panhard, le compresseur n’est pas encore le moyen de charger mécaniquement et thermiquement le moteur, Emile Petit et Constantin pensent que cet organe, ramené au rôle de gaveur, permettra d’obtenir commodément une pointe de vitesse facilitant les dépassements.
Pour Dunlop, la course de Cancel, avec ses petits pneumatiques tournant vite, contribue à la mise au point des nouvelles roues des voitures ordinaires dont les caractéristiques évoluent dans le même sens. Pour Marcel Riffard, l’étude et la réalisation d’une carrosserie de course en alliage léger a été l’occasion de soumettre aux conditions réelles d’emploi de l’automobile des conceptions issue de la pure aérodynamique des avions et de montrer dans quel sens devrait être résolue la stabilité par vent latéral, problème le plus difficile qui a été posé par les voitures modernes, de plus en plus puissantes, fines et rapides.
Enfin, pour l’industrie de l’aluminium, ces performances, hautement sportives, sont de nouvelles confirmations d’alléger les voitures en leur conservant toute leur robustesses.
Chez Panhard, tous les ingénieurs sont d’accord pour dire qu’une importante partie des résultats obtenus dans ces courses et records est due à l’emploi des alliages légers, tant pour la construction du châssis que de la carrosserie : on a ainsi gagné plus de 100 kg.
Pour obtenir, à Montlhéry, les mêmes résultats avec une voiture non allégée, il aurait fallu 4 à 5 ch de plus.
Or, ces derniers chevaux, plus difficiles à obtenir, sont justement ceux qui ont permis de battre plus facilement les records et de remporter le challenge de « L’Automobile ».
Sur les circuits du Mans et de Reims, l’allégement prend une plus grande importance encore, car il agit directement sur les possibilités d’accélération et de freinage des voitures.
Pour gagner la même accélération, qualité essentielle en course, tout kilo en plus nécessite 1 cm3 de cylindrée de moteur en plus.
Et si la voiture de Chancel n’avait as comporté d’aluminium, il aurait fallu utiliser au moins un 850 cc pour obtenir les mêmes accélérations.
Ajoutons enfin que, dans ces occasions, les alliages légers ont fait la preuve pratique de leur robustesse et de leur endurance.
Bien que la voiture de Chancel n’ait pas chômé depuis 1953, sa carrosserie, soumise à de rudes épreuves, est toujours en très bon état.
Dans ce cas également, les enseignements de la course apparaissent particulièrement valables pour la série.
Charly RAMPAL pour les photos et la recomposition de l’article de Maurice Victor de La Revue Aluminium.