Le 19 septembre 1958.. 7h30. Un petit jour sale et brumeux se lève sur la campagne nivernaise et noie les bords de la Loire. La visibilité n’excède pas 60m.

Venant de Cosne, une 403 se hâte avec prudence vers Clermont-Ferrand. A son bord, 3 personnes dont un jeune garçon de 15 ans.
Soudain, peu après la traversée du bourg de Maltaverne, un poids lourd surgit du brouillard, face à la 403.

L’énorme véhicule, inconsidérément engagé dans le dépassement risqué d’un tracteur agricole attelé à une remorque, barre la route.

Le pilote de la 403 a un réflexe d’homme de métier : action sur les freins et tout à droite, pour déborder sur l’accotement.
Mais la collision est inévitable !
La 403, heurtée sur le côté gauche, effectue un demi-tour complet et s’immobilise sur la berne.


Sous la violence du choc, la portière gauche s’est littéralement désintégrée.
A côté de la 403, un homme gît, inerte, les pieds encore coincés sous les pédales de commande…

Cet homme, c’est René Bonnet.

Sournoisement, le sort a frappé. René Bonnet ne verra pas ses chères voitures bleu France et ses équipages défendre le prestige de la firme sur le circuit de Clermont-Ferrand où il se rendait.
Dérisoire tricherie d’un hasard aveugle.. Au lieu de la chaude ambiance des stands, un glacial néant était au rendez-vous, quelque part sur la route entre Cosne et Pouilly, par un terne matin.

A l’Hôpital de Cosne, le docteur Rongier redresse un visage fatigué et sa main ébauche un geste aussi vague que les impondérables du destin : « S’il passe la nuit.. ». La phrase ne s’achève pas…
Le silence retombe dans la chambre nue où sur un lit de fer, René Bonnet livre un grand combat d’un organisme qui ne veut pas sombrer.

Mme Bonnet, accourue en hâte de Paris, n’a pas bronché ! Elle sait que l’épreuve sera dure, mais il faut tenir !
D’autant que le jeune garçon de 15 ans qui avait pris place dans la 403 et qui repose dans une autre chambre, n’est autre que son fils Michel.
Il a été sévèrement touché aussi : un enfoncement facial et une fracture d’une vertèbre et du sacrum lui coûteront 4 mois d’immobilisation.

Le troisième passager de la voiture, le mécanicien Bruno de P Marchio n’a pas été davantage épargné : enfoncement pluricostal, écrasement du poigné droit et très grave fracture de l’humérus gauche qui nécessitera une greffe osseuse.

Il faut dire qu’à cette époque, la ceinture était loin d’envahir nos habitacles et sauver un nombre important de vies.

Le docteur Rongier a fait l’impossible pour réduire les fractures de René Bonnet et pour prolonger une parcelle de cette combustion interne sans laquelle nous ne vivrions pas.

Seize transfusions de sang ont été nécessaires, représentant 5,5 litres du précieux liquide.

Le hasard voulait que le facteur rhésus de René Bonnet ne corresponde pas à celui des donneurs attitrés de l’hôpital. Aussi fallut-il faire appel à des donneurs bénévoles parmi lesquels un seul put présenter les caractéristiques correspondantes. : c’était un gendarme.

Lorsqu’après 3 jours de coma, René Bonnet jusqu’alors intransportable et inopérable revint à lui, ce fut pour apprendre un triste bilan : hanche gauche en bouillie déterminant une paralysie sciatique, tibia et péroné de la jambe droite cassée au niveau de la cheville, quatre côtes enfoncées, mâchoire fracturée et fort traumatisme crânien.

Cet énoncé ne l’émut pas trop : il en avait vu d’autres. Par contre, à l’annonce qu’il avait du sang du gendarme dans les veines, il eut une réaction caractéristique qui dénota que l’homme s’était retrouvé.

Durant 15 jours, René Bonnet, passant par une alternative de mieux et de mal, dut attendre son transport dans une clinique parisienne, 15 longs jours durant lesquels son corps brisé lutta pour survivre.

Le 1er octobre 1958, René Bonnet se retrouve donc à Paris dans la clinique de la Croix Rouge Française, place des peupliers. A son tour, le docteur Dautry se penche sur le corps de l’homme qui ne veut pas capituler.

Durant un mois les opérations se succèderont aux opérations afin de remettre en place les os pulvérisés, suivant une technique qui s’apparenterait pour un peu à celle de la mécanique de compétition : fil de fer, vis, … il ne manquerait que le chatterton.

Le 1er novembre, René Bonnet rentre chez lui et poursuit une convalescence doublée d’une rééducation musculaire qui met à rude épreuve l’énergie et la ténacité de l’homme.

Enfin, après un long calvaire, pointait une lueur d’espérance : René Bonnet avait commencé à faire quelques pas, avec une canne il est vrai.

Au salon d’octobre, qui fut organisé en hâte par Mme Bonnet sur qui reposait depuis l’accident toute la marche de l’affaire et qui faisait front avec une rare énergie, 20 DB ont été vendus, ce qui galvanisera le moral de René Bonnet.

Au début de l’année 1959, René Bonnet reprend progressivement le dessus. Durant sa longue période de convalescence, il n’avait jamais cessé de penser à son usine, à ses voitures, à ses collaborateurs directs et aux compétitions.

Au mois de février, devant la rapidité de ses progrès due à sa farouche volonté, il se murmurait que René Bonnet pourrait reprendre le volant dans un court délai. Car vivre sans piloter lui-même les voitures qui étaient la propre émanation de son esprit n’eut pas été une existence acceptable pour le maître de la firme de Champigny.

Les premiers tours de roue eurent lieu avec une de ses voitures personnelles, une De Soto dont le changement de vitesses automatique s’accommodait mieux de la raideur encore sensible des membres inférieurs. Puis, les progrès aidant, il put reconduire la 403.

Le 22 mars 1959 à Sebring, un bolide bleu France tourne sur le circuit. Au volant René Bonnet qui a tenu à effectuer lui-même quelques tours d’entrainement pour jauger la mécanique.

Au stand, compagne dévouée des jours heureux ou malheureux, une femme chronomètre : c’est Mme Bonnet.
Nous étions loin du triste rendez-vous avec le néant, quelque part entre Cosne et Pouilly.

Mais après les jours sombres, la chance souriait de nouveau à René Bonnet, à celui qui n’a pas voulu s’avouer vaincu, à celui qui avait su faire reculer les limites de l’impossible.

Sebring 1959 s’auréolait d’une double victoire DB en catégorie 750cc et à l’indice, obtenue avec l’extraordinaire moyenne de 118 km/h, alors que la Ferrari gagnante réalisait 130 km/h.

Cette victoire sera comme un nouvel espoir, un renouveau qui marque pour la firme de Champigny un virage important qui, sans René Bonnet, n’aurait plus qu’à se recueillir sur les beaux souvenirs d’une gloire passée. Un immense réconfort a germé après la victoire de Sebring : le « boss » est toujours là. Pourtant, tout avait failli basculer…

Charly RAMPAL (sur des documents d’époque).