10En ce début du mois de Mai 1955, le circuit automobile de St Etienne n’existe pas encore : il ne dispose que de quelques mois pour naître ! Car l’objectif est une course d’endurance prévue au mois de Mai. Comment expliquer un tel projet, si ce n’est par la passion ?

Le circuit, dessiné par René Delabre, est constitué par deux voies rigoureusement parallèles depuis Le Baroy jusqu’à la Massardière. La seule séparation étant constituée par le tunnel, à l’extrémité gauche du circuit. La bourbe de Maison Rouge constituera une des difficultés de la course, à grande vitesse.

Le 1er Mai, soit une semaine avant la course, tous les travaux sont terminés !

Louis Rosier, le Champion de France, est venu reconnaître le circuit. Pour lui, c’est un circuit remarquable, à la fois rapide et difficile, tout à fait de nature à éprouver au maximum, quatre heures durant, les mécaniques et les pilotes.

Mais un circuit ne suffit pas à lui seul à attirer pilotes de renoms et les spectateurs.

L’annonce de la participation de Louis Rosier, son palmarès élogieux et au volant de sa Ferrari Monza, vont jouer le rôle de locomotive.

Et en effet, peu à peu, à côté de Rosier, Picard va suivre ainsi que dix voitures et non des moindres, viendront occuper la classe 1.000 à 2.000cc.

Dans la catégorie moins de 1.000cc, celle qui nous intéresse, Raoul Martin, concessionnaire SIMCA à St Vallier, est fidèle aux rendez-vous sportif que lui propose sa région.

Avec sa SIMCA spéciale de 995cc, il vient affronter le tank Renault de Jean Louis Rosier et la Panhard 850cc de Jean Damian.

Nous retrouvons, également sur de la mécanique Panhard les fidèles, Yvon Carlus (DB 850)

et Robert Chancel, représentant avec son Tank, la firme Monopole-Poissy, au volant de la toute nouvelle voiture type 24h du Mans.

Récent recordman du monde de l’heure, avec 202,800 km/h parcourus à Monthléry sur une voiture du même type, Chancel partira grand favori de cette catégorie, renforcé dans cette idée, aux yeux du public, par un palmarès en béton !

A côté de lui, Touzot et sa DB spéciale, fraîchement auréolée d’une victoire dans sa catégorie aux Mille Miglia.

Le lyonnais Marcel Picard, souvent titré en Rallye et en Montagne, notamment à Planfoy, ainsi que Cornet, représentent eux aussi, tous deux en 750cc, le firme française DB.

Egalement avec un beau palmarès, Raymond Rispal et sa Renault 750cc ferme la marche de cette liste de partants.

On aura donc 22 partants dans les diverses catégories et 3 remplaçants.

Pour le scratch, la Presse est unanime pour donner les Ferrari en favoris.

Par contre en 1.000cc, la lutte reste très ouverte. La course s’annonce donc des plus spectaculaires et le public ne sera certainement pas déçu.

Le temps se fixe au beau lorsqu’à 13h15 les voitures se rangent en file par ordre croissant de leur numéro, pour un tour de reconnaissance.

A leur retour devant les stands, elles se rangeront en épis sur le côté droit de la piste, dans le plus style des départs du Mans, mais par ordre décroissant des cylindrées.

Le départ prévu à 14h aura 12mn de retard quand le drapeau bleu blanc rouge s’abaisse des mains de Francis Feutrier.

C’est la « petite » Ferrari de Tavano qui part en tête. Mais au bout du premier tour, pas de surprise, les voitures puissantes reprennent leur place : les puissantes Ferrari 3 litres prennent le commandement.

Un duel somptueux les oppose, dès ces premiers tours, roue dans roue, le radiateur du suivant dans l’échappement du suivi. Six tours durant, Picard mène la danse devant Rosier.

Carlus lui, dans l’habitacle de sa DB, se maudit lui-même d’avoir manqué son départ et de concéder plus de 30 secondes de retard…

Les chronos s’affolent ! Picard établit le meilleur tour à 134,833 de moyenne, en 1’58’’5, bien vite imité dès le tour suivant par Rosier, 1’58’’1.

Derrière les leaders, on s’active.
En 1.000cc, le malheureux Touzot, en proie à quelques soucis mécaniques, doit marquer un arrêt à son stand.

Carlus, lui, subit le handicap de son départ manqué.

C’est plus grave pour la Renault de Rispal qui est sorti du circuit au freinage du Baroy.

Désagréable surprise pour Henri Oreiller, dont l’Alfa Roméo voit son pare-brise voler en éclat qui nécessitera un passage dans les stands pour un peu de ménage et un sparadrap sur le nez qui sera balayé par le vent.

Admirablement aidé par le parfait profilage de son Tank Panhard, Chancel s’est emparé de la tête des petites cylindrées et s’y maintient aisément malgré les difficultés qu’entrainement les fréquents dépassements par les grosses 3 litres.

Au 16ème tour, seuls Rosier et Picard restent dans le même tour, se jouant littéralement de leurs adversaires et ne finissant pas de se dépasser l’un l’autre, presque à chaque tour.

Au 30ème tour, Chancel emmène toujours la petite classe, devant Carlus, en fait assez peu dangereux puisque trop éloigné, puis Touzot, revenus en course après son arrêt au stand, mais à 6 tours.

Dans le 50ème tour, après Carlus, Touzot doit lui aussi rejoindre son stand, après un arrêt inopiné sur le circuit.

Chancel maintient toujours sa cadence. Par contre pour Touzot, l’abandon est consommé. Maigre consolation, c’est lui qui a réalisé un chrono époustouflant, le tour le plus rapide de la classe 1.000cc en 2’16’’5.
Il ne viendra plus inquiéter Chancel pour la victoire finale dans cette classe.

Au 80ème tours, tout est joué en tête sauf surprise : Louis Rosier compte deux tours d’avance sur Picard, retardé par un arrêt au stand

Au cap des 100 tours de course, 3 heures 28 mn et 22 secondes se sont écoulées depuis le baissé du drapeau.
Malgré ses ennuis de boite de vitesses, Picard ne laisse pas trop s’aggraver les choses, regagnant en ligne droite les précieuses secondes concédées à ses poursuivants dans les virages. Seul Rosier semble intouchable.

Une demi-heure de course encore. Marcel Picard se bât comme un beau diable dans l’habitacle surchauffé de sa DB, avec un embrayage bien fatigué.

Peu de temps après, le drapeau à damiers s’abaisse devant la Ferrari de Louis Rosier, deux tours devant celle de François Picard. Troisième du général, René Bourelly confirme l’excellente santé de sa barquette Gordini 2 litres.

Chancel est 8ème au Général et net leader de la classe 1.000cc

devant Yvan Carlus, à 9 tours, Marcel Picard à 10 tours et Jean Damian.

Au soir de la course, tous les pilotes sont unanimes : mis à part le virage en épingle du Baroy, fatal à plusieurs mécaniques, le circuit est excellent.

Son sens contraire aux aiguilles d’une montre demande une grande attention, d’autant que la totalité des voitures présentes disposaient d’une conduite à gauche.

La classe 3 litres aurait supporté un plateau plus étoffé, évitant ainsi une perte d’intérêt pour la lutte au sommet. Mais il faut une première fois à toute chose.

La prochaine épreuve d’endurance du Forez sera portée à 6h en 1956.

Charly RAMPAL (Documentation ASA Club du Forez)