Arthur Krebs dessine sa première automobile en 1868 : II a 18 ans.

Sa passion pour la locomotion va le conduire inexorablement – via l’électricité – vers sa rencontre décisive, le 3 septembre 1896, avec Emile Levassor, le plus célèbre constructeur d’automobiles à pétrole.

Pourtant les circonstances de la guerre de 1870 font de lui un militaire, mais un militaire particulièrement  atypique.

Issu de l’école de St-Cyr, il est – encore aujourd’hui – le seul de cette école a avoir effectue une carrière scientifique.

Chez les Pompiers, ou les traditions sont vivaces, il n’a laissé aucun souvenir de l’officier en service.

Pourtant, en tant que membre de l’Etat-major, il dormait avec son casque et son uniforme à portée de main, prêt a se rendre sur les lieux en cas de grand feu.

C’est en spécialiste de la toute nouvelle électricité qu’il collabore avec Gustave Zédé et son gendre Gaston Romazzotti, pour réussir a l’automne 1888, les premières plongées dirigées.

Le sous-marin GYMNOTE, le premier qui soit muni d’un périscope et d’un compas gyroscopique électrique – quoique garde secret – inquiètera bien des marines militaires, et déterminera la marine française a construire la première flotte sous-marine du monde.

C’est en ingénieur et en inventeur qu’Arthur Krebs reforme le matériel du service incendie de la ville de Paris : les pompes à vapeur et le compresseur d’air avec l’industriel Durenne, le frein funiculaire pour les voitures de départ attelé avec l’industriel Lemoine, l’avertisseur téléphonique avec son brevet de 1888, le ventilateur hydraulique, le casque respiratoire etc.

En d’autres termes, si Krebs est un militaire il se veut d’abord scientifique. Et ses multiples communications à l’Academie des sciences n’ont d’autre but que de soumettre le résultat de ses travaux a ses pairs.

Mais c’est en organisateur qu’il met en place, progressivement de 1884 a 1897, le plan des secours contre l’incendie à Paris, tel qu’il est toujours globalement en vigueur aujourd’hui.

Pour cela il fera deux voyages d’études au Etats-Unis, et d’autres en Angleterre et en Europe, jusqu’a Moscou.

En stratège du succès, Arthur Krebs a montre, dans chacun des domaines où il est intervenu, que la réussite passait par lui, quels que soient les techniques, les enjeux et les dimensions du projet.

C’est dans cet esprit que le Conseil de Paris, le 28 novembre 1894, accepte la proposition du commandant Krebs d’étudier l’application des moteurs à pétrole à la traction des voitures d’incendie. Et il ajoute : « Il ne faut pas craindre de demander largement le nécessaire ».

Il raconte en 1924 : « Vers 1894 parurent les premières voitures automobiles mues par des moteurs a essence. La locomotion automobile ayant déjà frappé mon imagination au point de vue de son application au Service Incendie, je me procurai un petit moteur auprès de la maison Panhard & Levassor pour en bien étudier le fonctionnement et construisis dans l’atelier des Sapeurs-pompiers une petite voiture d’expérience dont les changements de vitesses étaient obtenus par des embrayages magnétiques.

J’avais imagine cette disposition pour éviter les chocs brutaux que subissent les engrenages dans les changements de vitesse, solution qui me paraissait barbare. « 

Car pour Krebs, la mécanique c’est aussi de l’esthétique et de l’élégance conceptuelle.

Le 5 juillet 1895, Arthur Krebs rend compte de ses travaux au Conseil de Paris : « L’industrie ne construit actuellement que des moteurs de 2 a 3 chevaux. Or, c’est d’une force de 12 a 15 chevaux qu’il faut au corps »

De fait c’est un premier secours électrique qui sortira des ateliers du Corps des Sapeurs-pompiers, peu avant 1900.

Pourtant le projet de Krebs est désormais de se consacrer à la voiture à pétrole.

II avait exploré I ‘automobilisme dans les airs et sous l’eau.

C’est maintenant la locomotion terrestre qui accapare toute son attention.

Un peu plus d’un an lui suffit pour maitriser cette toute nouvelle science.

II avait déjà une dizaine de brevets à son actif, qui tous avaient donné lieu a fabrication, dont certains par l’industrie.

Cette fois, c’est par l’intermédiaire du Cabinet Armengaud qu’il dépose en France le 13 mai 1896 son brevet de voiture automobile.

Le 8 juin 1896 il dépose son brevet en Angleterre, ou il est accepte le 31 juillet, pour entrer en application le 7 septembre.

L’étendue des domaines abordés ici montre que Krebs a livré dans son brevet, sa propre conception de l’automobile, dont il détaille ainsi les innovations :

« En résume, je revendique comme ma propriété exclusive, le système de voitures automobiles essentiellement caractérisé par :

1. L’indépendance du bâti moteur du châssis de la voiture ;

2. La suspension par 3 points dudit bâti a la voiture

3. Le dispositif de l’avant-train assurant la stabilité de route ;

4. La disposition des ressorts amortisseurs places sur la commande de direction pour la tenir constamment tendue et supprimer les vibrations de la tige de direction et de son guidon ;

5. L’application des électro-aimants cuirasses  à double effet pour embrayer les trains d’engrenages avec l’arbre moteur;

6. La disposition consistant à maintenir constamment engrènés les différents trains, quelles que soient les vitesses du véhicule ;

7. L’emploi d’un encliquetage pour, rendre solidaire de son arbre la roue d’engrenage, lorsqu’elle est attaquée par son pignon ;

8. L’emploi d’un commutateur électrique, de quelque forme qu’il puisse être, place soit sous le guidon, soit en tout autre point, pour régler la vitesse de la voiture ;

9 . Le débrayage magnétique en coupant le circuit au moyen d’une pédale actionnant le frein;

10. Enfin l’application de tous les dispositifs ci-dessus indiqués, me réservant d’en faire varier les dispositions de détail, suivant les cas, à tout véhicule, quel que soit le genre de moteur employé pour le mettre en mouvement : moteur à vapeur d’eau, à pétrole, à essence, à gazoline ou autre liquide volatil, à gaz, à air chaud, électrique, etc. »

Ce 3 septembre 1896, c’est finalement en « inventeur distingué », que le commandant Arthur Krebs, 46 ans, Major-ingénieur aux Sapeurs-pompiers de Paris, bien protégé par son brevet no 256344, se présente en tenue de ville, dans la cour de la célèbre usine, au guidon de son automobile, devant monsieur Emile Levassor, 53 ans, le maitre des lieux.

Il raconte : « je montrai ma voiture terminée et fonctionnant à M. Levassor. Il en fut vivement frappé et me demanda de lui permettre d’en mettre plusieurs en construction dans ses ateliers et de bien vouloir en suivre la fabrication. »

Comme a son habitude, Krebs pèse ses mots et n’en dit pas plus que nécessaire.

Car c’est dans les archives P&L conservées aux Archives Nationales de Roubaix, que l’on a finalement trouvé la clé de cette énigmatique rencontrée.

Manifestement Levassor a été emballé par l’engin qu’il voyait tourner sous ses yeux, de même que par le sérieux du personnage qui le lui présente.

II admire l’élégance de la solution proposée pour remédier « aux chocs brutaux que subissent les engrenages lors des changements de vitesse ».

Car il suffit d’un simple « clic » du commutateur situe dans son manchon en cuir, sous le guidon, pour changer de vitesse.

Cette solution supprime tout embrayage à friction, et permet même de coupler le débrayage avec l’appui sur la pédale de frein.

Levassor est également intéressé par « ce qui est relatif à la direction « et que Krebs nomme « le dispositif de l’avant-train assurant la stabilité de route. »

Il s’agit tout simplement du principe – devenu universel depuis – du train avant à chasse, que Krebs détaille ainsi :

« L’avant-train est formé du rond inferieur, de deux armons, de 3 ressorts et d’un essieu situe en arrière de la projection de l’axe de la cheville ouvrière d’une quantité qui peut varier du 1/7 au 1/6 de la distance qui sépare les points de contact des deux roues d’avant avec le sol.

Cette disposition a pour objet d’assurer la stabilité de route, c’est-à-dire de ramener automatiquement, en marche, le parallélisme des deux essieux, lorsque aucune force ne tend a les maintenir dans une autre position ou qu’un effort momentané les en a écartés. »

Entre l‘industriel visionnaire et le militaire inventeur, également froids mais passionnés de technique, le courant passe tellement bien qu’ils s’entendent immédiatement sur un tarif de licence exclusive du brevet.

Et pour le même prix, et sur la base de la confiance – « puisque vous dites qu’il est très bon» – Levassor adopte et se charge de faire breveter le système de moyeux de Krebs.

Le jour même Levassor écrit à Krebs, à l’adresse de l’‘Etat-major des Pompiers à Paris, 9 Boulevard du Palais, où il loge, pour lui confirmer les termes de leur accord et lui demander en retour sa lettre d’acceptation. Notons que cette lettre, qui engage son associé René Panhard, semble signée « Panhard Levassor » par Levassor uniquement, alors qu’il signe habituellement « Emile Levassor ».

On voit bien que Levassor est le maitre des affaires de la société P&L.

Quatre jours plus tard – dès réception de cette lettre d’acceptation – le 7 septembre, Levassor envoie en recommandé une copie des documents du brevet de la voiture à M. Biebuick, son agent en Belgique, pour qu’il dépose au plus vite – « Je tiendrais à ce que le tout soit déposé mercredi prochain » – et à ses frais, un brevet belge au nom d’Arthur Krebs.

Du 24 septembre au 3 octobre Emile Levassor participe à la course Paris-Marseille.

Peu avant Marseille il est blessé lors d’un accident, en tentant d’éviter un chien.

Malgré une côte cassée il reprend ses activités le 8 octobre.

Pendant ce temps le brevet fait d’abord parler de lui dans la presse anglaise, puis française, ainsi que I’ explique La Vie Automobile a propos de I’ « Embrayage électrique système Krebs » :

« Il nous serait facile de publier les brevets intéressants dès qu’ils sortent des cartons des ministères. Si nous ne le faisons pas, c’est sur la demande des inventeurs eux-mêmes qu’une publicité trop prompte pourrait gêner.

Toutefois, les revues étrangères ne se croient pas tenues à la même réserve; dans ce cas, la liberté nous est rendue, et nous en faisons profiter nos lecteurs.

Nous traduisons donc aujourd’hui, d’aprtès I’AUTOCAR, le brevet suivant, dont il a déjà beaucoup été parlé : M. C. KREBS, no 19.774, 7 septembre 1896, véhicules actionnes mécaniquement.[…] ».

Louis Lockaert, ingénieur ECP, dans La France Automobile donne les précisions suivantes :

« […] Son attention se porta ensuite sur deux points principaux : d’abord l’isolement le plus complet possible entre le mécanisme et le châssis de la voiture, toujours en vue de soustraire les voyageurs à l’ennui des vibrations ; puis la simplification du système de transmission entre l’axe du moteur et celui des roues.

Le moteur et la transmission furent installés sur une plate-forme suspendue sous le châssis de la voiture par trois points seulement, puisqu’on sait que trois points suffisent pour déterminer un plan. […]

Son essieu d’avant rigide, monte très en avant du véhicule, pivote autour d’une cheville ouvrière placée de telle façon que si la direction est déviée par un obstacle sur la route, elle reprend automatiquement la ligne droite des que l’obstacle est franchi.

De même si, dans un virage, on a abandonné le levier de manœuvre, la voiture part toujours suivant la tangente du cercle décrit.

En voila assez pour faire comprendre à nos lecteurs que la voiture du Commandant Krebs, résultant d’idées très personnelles et nouvelles, a un aspect particulier et original.

Nous ajouterons que cet aspect est très satisfaisant et plus élégant que n’importe quelle voiture qu’il nous ait été permis de voir jusqu’à présent ».

Le 2 décembre, Levassor écrit à Daimler : « … Et au sujet de la voiture avec changement de vitesses électrique, une voiture a déjà été faite avec un moteur Daimler à cylindres obliques de 3 ch ; elle va bien, mais n’a pas encore fait de très grands trajets.

Nous construisons actuellement un coupé et une victoria avec ce système et moteur à cylindres parallèles de 4 ch ; j’espère que tout ira bien.

Mais ce n’est qu’après l’essai de ces voitures que je pourrai vous donner mon opinion motivée ; il faudra donc attendre, mais je suis à peu prés certain d’avoir un bon résultat et j’ai tout lieu de croire qu’il y a dans ce mode de changement de vitesses, surtout pour des voitures devant circulation  dans les grandes villes, comme les fiacres par exemple, une très grande facilite et très grande simplicité de manœuvre.

 La question doit donc vous préoccuper et si vous avez occasion de venir prochainement à Paris, je vous conduirai dans la voiture qui fonctionne déjà.

Vous jugerez et vous verrez quelle suite vous voulez donner à cette affaire.

Quant aux brevets, ils ont été pris en France, en Angleterre et en Belgique. »

Le 22 décembre il continue : … Pour la voiture avec changement de vitesses électrique, je vous assure que c’est une chose à examiner et il est bien fâcheux qu’à votre dernier voyage vous n’ayez pu avoir le temps nécessaire pour cet examen.

Nous pensons que vous pourriez traiter avec l’inventeur en donnant une somme fixe et en payant une Royaltie par voiture. C’est ainsi que nous avons traité.

J’espère que vous trouverez l’occasion de venir à Paris pour établir votre jugement et en voyant cette seule voiture vous pouvez être certain que vous en verrez beaucoup plus que ce que vous avez pu voir en Angleterre dans vos différents voyages. »

Levassor ne peut pas être plus clair sur son opinion à l’égard de l’invention de Krebs. Quant à ce dernier il est dans le même temps régulièrement présent dans l’usine pour « en suivre la fabrication ».

Et les choses vont bon train puisqu’au 2 décembre une voiture de 3 CV est construite et deux de 4 CV sont en cours, dont la victoria de la photo ci-dessous.

Notons l’absence de tout levier autre que le frein à main et le commutateur sous le volant.

En marge de ces événements, le 13 janvier 1897, Krebs « est désigné pour prendre part aux travaux de la commission scientifique d’aérostation chargée d’étudier les phénomènes qui se produisent dans les régions de la haute atmosphère ».

Le mercredi 14 avril 1897, Emile Levassor s’effondre sur sa planche à dessin, alors qu’il travaillait sur les plans de l’embrayage magnétique de Krebs.

Cette perte laisse René Panhard dans un profond désarroi. Krebs raconte en 1924 : « Son associé, M. Panhard, transforma son association en Société Anonyme et me demanda d’en prendre la direction.

L’industrie automobile était à ses débuts, son avenir n’était pas douteux et la Maison Panhard & Levassor tenait la tète.

Encouragé par la réussite de mes travaux antérieurs et mes gouts personnels, je n’hésitai pas à accepter et à abandonner la carrière militaire pour entrer dans l’industrie ».

A nouveau, les mots sont faibles à décrire la situation pratique.

Certes il est clair qu’Emile Levassor, René Panhard et Arthur Krebs ont eu six mois pour s’apprécier mutuellement.

Mais pour René Panhard est-ce suffisant pour persuader ses nouveaux associes qu’il est l’homme de la situation ?

A en croire les photos de René Panhard et de M. Durenne que Krebs conservera sur son bureau de directeur, il faut penser qu’effectivement René Panhard, admiratif « de ses premières expériences.. » est le principal promoteur de cette candidature.

Mais il s’y trouve également l‘industriel Durenne, avec qui Krebs travaille depuis 1886.

On peut donc formuler l‘hypothèse que parmi les actionnaires de la nouvelle société, René Panhard a apporté les sportifs, les rentiers et les députés, et que Durenne a apporté la majorité des industriels, dont lui-même.

Ajoutons qu’il avait employé Levassor comme directeur au début de sa carrière en 1872.

Au Corps, Krebs a transformé les ateliers en une véritable petite usine, avec machines-outils, forges, menuiserie, charronnage, ajustage, montage, laboratoire, moteurs a gaz etc.

De ce fait, en plus de Durenne, il fréquente les industriels parisiens qui composeront le Conseil d’administration, et qui tous deviendront fournisseurs de la société : Louis Lemoine, pour son frein funiculaire ; Emile Garnier, constructeur de machines a vapeur et la Société Jacob Holtzer, fournisseur de métaux spéciaux pour l’armée. Didier Rolland, charge de l’information à l’Etat-major des pompiers, précise : « Elite industrielle, Krebs, qui a participe à l’organisation de l’exposition universelle de 1889, possède des relations politiques et industrielles solides ».

Le nouveau venu c’est Adolphe Clément, fabricant de pièces détachées pour bicyclettes qui se lance dans les voiturettes.

En effet Clément s’intéresse de prés à la société Panhard et Levassor, dont il avait acheté tous les terrains entourant l’usine, avant même la mort de Levassor.

Aussi dès l’annonce de la création d’une nouvelle société, se présente-t-il comme un partenaire incontournable et en devient l’actionnaire principal.

Et si Levassor n’avait pas, le premier, acheté le brevet de Krebs, il n’aurait pas manqué de le faire, car c’est lui qui portera le projet de la petite Panhard qui en dérivera en 1898, sous le nom de Clément-Panhard.

Si Krebs est pressenti comme directeur technique de la future société, ses derniers mois au Service Incendie seront pour lui une dure épreuve.

L’après-midi du 4 mai 1897, il était appelé sur un grand feu : le projecteur de la salle du cinématographe du bazar de la Charité avait enflammé instantanément les immenses tentures qui camouflent le lieu confiné où il avait été organisé, le rendant inaccessible aux engins de lutte contre l’incendie.

Cent vingt personnes périrent en vingt minutes. Son impuissance à éviter cette catastrophe, motive Krebs plus que jamais à lier son destin à celui du prometteur moteur à pétrole.

Mais comment Krebs s’y prend-il pour donner son congé de I ‘armée en deux mois de temps, après trente sept ans de carrière ?

Il demande tout simplement une mise en disponibilité pour raison de santé.

Et sa hiérarchie ne pouvant être dupe du stratagème, on est obligé de penser qu’elle a approuvé la  démarche.

De cette manière Krebs avait la certitude d’être réintégré dans ses fonctions, au cas ou l’affaire tournerait mal.

C’était le minimum de précaution à prendre pour protéger sa nombreuse famille.

Mais ce n’est que le 30 novembre 1898, que sa demande de « mise en non activité pour raison de santé : gravelle urique avec crises fréquentes de coliques néphrétiques » sera accordée par le ministre.

Enfin le 30 juillet 1897, le conseil d’administration de la nouvelle SAAE P&L à peine constitue, nomme «  Directeur technique pour six ans, le commandant Krebs », avec qui il conclut un traité le lendemain :

«  Art. 1″ – M. le Commandant Krebs entrera, à partir du 1er aout 1897, comme directeur de l’usine des Anciens Etablissements Panhard et Levassor, et à partir de ce jour, il devra tout son temps et tous ses soins à la bonne marche et à la prospérité des affaires de la Société. […] Il aura la direction de tous les travaux et du personnel de l’usine.

Art. 7 – Par suite du présent traité, M. le Commandant Krebs renonce, au profit de la Société des Anciens Etablissements Panhard et Levassor, au bénéfice du traité qu’il avais avec cette maison pour l’emploi de son embrayage électrique, breveté en France et en Belgique et, par suite, la société n’aura rien à payer à M. le Commandant Krebs pour l’emploi de ce dispositif mais elle s’engage à payer les primes des brevets pris à son nom pour en garantir la validité ».

Désormais reconnu par le gotha automobile, il est parrainé – peut-être par le «  sportsman  » René de Knyff – pour entrer au prestigieux Automobile Club de France, ou un journaliste de ses pairs, chroniqueur automobile au journal La Chasse Illustrée, le décrit ainsi en 1899 : «  … Un d’entre nous, qu’on appelle familièrement Mon Commandant, crut devoir intervenir. Je sors de l’Automobile Club, Mesdames, dit-il en s’inclinant militairement et en frisant sa moustache blonde …».

Dès son arrivée le successeur de Levassor a pour mission de passer à la dimension industrielle en doublant la production.

Aussi la transition entre l‘ancien et le nouveau directeur fut-elle rude pour l’ensemble du personnel : « Les débuts ne furent pas sans difficulté.

Il fallut d’abord acquérir la sympathie d’un personnel technique très fermé et jaloux de son expérience.

« Quelques perfectionnements que j’introduisais de suite dans certains organes mécaniques et l’année suivante le succès des 4 voitures de la Maison dans la course  » Paris-Amsterdam  » (les voitures arrivant premières à toutes les étapes), me gagnèrent la confiance du personnel».

On voit donc que Krebs s’est imposé à son personnel en permettant à la marque de gagner les courses.

Pendant l’été 1911, le futur industriel de l‘aéronautique Marcel Dassault, stagiaire chez P&L, constatera le même élan : « J’ai ainsi appris à connaitre l’organisation d’une grande usine de mécanique.

J’ai aussi apprécié le travail des ouvriers, leur esprit d’équipe, leur joie quand la firme gagnait une course ou battait un record, ou lors de la sortie d’un nouveau type de voiture particulièrement réussi ». (Le Talisman, 1970).

« En 1898, je pris auprès de moi, pour me seconder, mon beau-frère M. Charles de  Freminville, ingénieur des Arts et Manufactures, qui s’occupa plus spécialement de la partie administrative des ateliers, de l’organisation du travail, du choix et traitement des métaux employés dans la fabrication, etc. ».

L’équipe de direction est maintenant constituée.

Elle restera aux commandes jusqu’an 1916, encadrée par le Conseil d’Administration, puis, a partir de 1912, par celle qui prendra le relais après la guerre.

Le 27 janvier1899, le nouveau président Garnier, successeur de René Panhard, nomme le commandant Arthur Krebs Directeur General de la SAAE P&L.

Avec cette nomination il peut assurément demander à être mis en retraite de l’armée.

Ce qui lui est accordé par le ministre le 8 novembre 1900.

La page militaire de Krebs est définitivement tournée.

II saura toutefois user de son appartenance passée pour faire de Panhard un fournisseur de l’armée, dans les domaines de l’automobilisme aérien, avec les moteurs de dirigeables, marin, avec les moteurs de sous-marin, et terrestre avec l’automitrailleuse Genty et le tracteur d’artillerie Chatillon-Panhard.

Krebs met en place ses méthodes de travail : « La bonne exécution du travail et la  conception de l’’ensemble et des détails ».

« Les qualités d’ordre, l’énergie et de tact dans la conduite du personnel ».

Chez P&L il poursuivra son activité scientifique, notamment en collaboration avec l’académicien d’Arsonval, dont il utilisera, en 1902, le laboratoire au Collège de France pour mettre au point son carburateur automatique alors que les autres marques utilisent encore des appareils rudimentaires à léchage, dès 1902, Krebs a déjà créé un carburateur moderne.

C’est aussi sous son impulsion que le moteur Centaure apporte un progrès considérable et la Maison s’affranchit complètement des brevets Daimler.

L’ancien PDG de Citroën, Claude-Alain Sarre, fait le bilan de cette équipe de « manager » : « Les dirigeants de la SAAE Panhard et Levassor ont tiré un parti tout à fait remarquable des atouts dont ils disposaient à leur arrivée et ils ont su les compléter habilement : ils ont assure à la société et à ses actionnaires une rentabilité presque inespérée ».

A 62 ans, lors du renouvellement de son traité, Krebs réaffirme combien son engagement envers la Maison P&L a représenté pour lui l’aboutissement de son œuvre consacrée à l’automobilisme : « Mon attachement à la Société Panhard et Levassor me fait un devoir de rester et de défendre, tant que mes forces me le permettent, les intérêts d’une marque à laquelle mon nom est intimement lie ».

Arthur Krebs conservera toujours des relations privilégies avec René Panhard, à qui il ne manquait pas de rendre des visites familiales à sa résidence de Thiais.

Et son fils Hippolyte, viendra jusqu’en Bretagne le visiter dans sa lointaine retraite.

Lors de sa nomination au grade de Commandeur de la Légion d’honneur en janvier 1935, trois mois avant sa mort, Elisabeth Panhard, fille de René, écrit à Mme Krebs :

« Je viens d’apprendre par Hippolyte la haute distinction dont M. Krebs vient d’être l’objet et je veux vous dire combien j’en suis heureuse avec vous ; tant de fois ces distinctions sont accordées sans raison qu’on est doublement heureux quand elles accomplissent un acte de justice en récompensant les vrais serviteurs du pays !

Je pense à la satisfaction qu’en aurait éprouvé notre cher père, qui avait tant applaudi aux succès du « Commandant », et nous parlait avec admiration de ses premières expériences ».

Charly  RAMPAL reproduction du témoignage fort et écrit de Philippe Krebs appuyé par les archives Panhard