ROBERT CHOULET ET LES CD
905, vous connaissez ? Oui ? Non ? Pas encore ? Les sport proto, les 24h du Mans 91, vous brulez. Ça y est, Peugeot, Robert Choulet ? Non ?
Décidemment ! Si je vous dis Charles Deutsch, CD 64. Ah, vous voyez !
Peugeot et Robert Choulet, la trace est retrouvée. L’équipe Peugeot avait un petit besoin côté aérodynamique pour son proto 905 engagé dans le championnat du monde.
Robert Choulet montre ses griffes, celles du Lion de Sochaux…
Il sort ingénieur de l’Ecole Centrale en 1959 et de l’école des moteurs en 1960. L’homme fait toute sa carrière dans l’automobile.
Dans les années 50 il est fervent supporter des petites DB qui défendent haut et fort les couleurs françaises battant quelques fois au scratch des voitures de plus fortes cylindrées, grâce à l’exploitation judicieuse de paramètres plus fins et peu connus, comme la tenue de route, la légèreté et l’aérodynamisme.
Mais en 1963, il va suivre les évènements de l’intérieur puisqu’il rentre, par la petite porte à la SERA au moment où les premiers exemplaires du coach CD sont terminés pour la vente au public.
Il est très impressionné de cette petite GT avec un très faible Cx de 0,22 qui lui permet d’atteindre 190 km/h avec seulement 60 cv..
Hélas, il regrette de ne pouvoir en poursuivre le développement à cause du rachat de Panhard par Citroën.
Ce dernier, peu enclin au sentiment et au génie autre que le sien, arrête ce genre d’activités marginales.
Son regret est d’autant plus grand qu’il était en train de travailler sur une GT à partir d’une plate-forme de 24CT, dans le but d’accroitre le confort, principal défaut du CD Panhard, mais également dans le domaine aérodynamique puisque le Cx était de 0,20, un record pour une voiture destinée à la série ! Elle avait 4 places et des performances étonnantes.
La tenue de route était très bonne, l’équilibre basal tout à fait sain.
Pour 1963, il fallait prévoir quelque chose de plus ambitieux.
La rupture avec René Bonnet obligea Charles Deutsch à s’organiser.
La mise au point du CD pour sa commercialisation monopolisait en grande partie de potentiel de la SERA-CD.
Le Mans approchait, la lumière vint d’André Guilhaudin qui proposa de monter sur le châssis du CD un moteur plus puissant.
Il contacta Mantzel en Allemagne, spécialiste des moteurs deux-temps DKW qui accepte de développer un 3 cylindres de 700 cc fournissant 70 cv.
DKW se pique au jeu et réalise autour de ce moteur. La SERA-CD développera uniquement la carrosserie et assemblera l’ensemble à Grenoble.
En avance sur le planning, le temps fut mis à profit pour mettre au point et développer l’engin.
Le gros problème était le démarrage où le 2 temps avaient tendance à se noyer.
Mais contre toute attente, Guilhaudin fit un départ fantastique et dès l’abord de la ligne droite, il avait pris le large, loin devant les René Bonnet.
Déjà le 230 km/h était atteint. André était juste derrière les « Grosses ».
Mais hélas au bout de la ligne droite des Hunaudières, Guilhaudin dérapa sur une flaque d’essence laissée par le trop plein des réservoirs.
La CD-DKW quitte la piste et se retrouve dans le sable, intacte. Impossible à désensabler tout seul.
Finis les espoirs de réaliser une grande performance.
Mais Guilhaudin ne se laisse pas abattre et obtint de DKW un 1.000 cc pour les 12H de Reims.
La voiture fut pointée à 250 km/h, vitesse fantastique, témoignant de l’excellent travail aérodynamique, hélas trop même puisque le moteur ne résista pas et au bout de 2 tours, tout était terminé.
La période de rodage de la jeune équipe se poursuivait.
Fin 63, Charles Deutsch reprend du poil de la bête et soutenu par Panhard.
Il charge Robert Choulet de développer une nouvelle voiture.
Mais le règlement ayant évolué vers une cylindrée minimale de 1.000 cm3.
Le 851 fourni par Panhard était donc « illégal ».
Il fallait augmenter fictivement la cylindrée en lui adaptant un compresseur affecté d’un coefficient multiplicateur de 1,4, portant la cylindrée au chiffre théorique de 1.191 cc.
Je n’entrerai pas dans les détails techniques de cette voiture, puis quej’en ai parlé tout récemment, mais attachons nous au travail de Robert Choulet sur le plan aérodynamique qui était peu banal à cause de ses grandes dérives vrillées que l’on destinait aux engins de record.
La trainée était insignifiante.
La portance nulle, le centre de poussée transversal voisinait avec le centre de gravité et le Cx plafonnait à… 0,12, grâce entre autres, à un carénage latéral complet des roues avant et arrière.
La stabilité était extraordinaire : c’était un vélo aux dires de ceux qui l’ont conduit.
Le vent transversal n’avait aucun effet, la tenue de cap à grande vitesse stupéfiante, quant à l’équilibre des dérives des essieux, il était parfait, à tel point que les vitesses de passage dans les courbes et les virages serrés, étaient hors du commun.
Choulet avait frappé très fort, prouvant ses immenses qualités.
La CD 64 atteignait 220 km/h avec 64 cv !
Malheureusement cette voiture ne put être développée car en 1965, la SERA-CD changea de cap en adoptant un moteur de plus forte cylindrée : le 1.600 Alfa Roméo.
La voiture fut développée avec GRAC pour le châssis.
Choulet originaire de la région de Valence, connaissait l’équipe GRAC qu’il avait aidé pour réaliser la première monoplace.
Voulant tâter les sport-prototypes, il désirait encore les aider à temps perdu.
Il en parle à Charles Deutsch qui, séduit par le projet, donne le feu vert à Choulet pout y travailler à mi-temps.
Choulet innova encore sur le plan aérodynamique en créant « l’effet de sol » que Chapman et les Chapparals utiliseront quelques années plus tard.
La voiture comportait deux canaux qui remontaient vers l’arrière.
Innovation supplémentaire : pour que la carrosserie puisse remonter aussi haut, il fallait que le point le plus bas du train arrière soit l’arbre de transmission.
La technique en vigueur à l’époque pour la suspension, passait par le triangle inférieur inversé avec une pointe côté boite.
Ceci interdisant un carénage intégral.
Choulet eut une idée de génie en remplaçant ce triangle seulement par deux biellettes parallèles…
C’était la naissance du système dit « à cinq bielles » que Choulet reprit sur les CD 66 et 67, puis adapté par Matra sur la célèbre MS 80 et que les F1 utiliseront par la suite.
Cette Grac eut tous les malheurs : forfait pour Le Mans, ramenée à Valence, elle prit feu.
Bilan : destruction totale
Si la SERA-CD accuse le coup, ce projet avait fait phosphorer l’équipe et prouva le talent de chacun.
Puis ce fut le contact avec Peugeot pour le moteur.
L’équipe Deutsch / Choulet en sortira la fabuleuse CD 66.
Puis, peu à peu l’argent manqua, seul Esso allait les aider. Il fallait trouver d’autres soutiens pour continuer l’aventure.
Pour que ces travaux sur l’aérodynamique leur survivent, l’équipe donna naissance à un livre « la dynamique des véhicules routiers » bourré de données de base d’un niveau mathématique accessible et utilisable par de nombreux bureaux d’études.
Fin 67, CD arrête toute activité propre en compétition.
En accord avec Charles Deutsch, Choulet part chez Matra où il fut responsable des prototypes.
On connaît la suite.. Choulet avait besoin d’argent pour développer la 640. Lagardère ne lui accorda aucun crédit supplémentaire : ce fut la rupture.
Il revint chez Deutsch qui a créé le Moteur Moderne, sorte de bureau d’études où il restera jusqu’en 1983, travaillant pour Porsche, il crée la fameuse 917 longue queue, puis la 917 CANAM.
Puis pour Alfa Roméo avec la 33TT12, pour Ligier en participant aux réalisations des JS 5 à JS 11. Puis les Alfa F1.
Après 83, il prend la responsabilité de la société Aérodyne jusqu’en 90 où va commencer un autre fabuleuse aventure.
Je l’avais croisé deux fois au Mans : en 1987 lors d’une réunion de la Fédération Panhard en présence de Jean Panhard, Guilhaudin, Bertaut,…
C’est le Monsieur debout derrière le staff…
Puis, lors de la remise au Musée du Mans d’un prototype CD-Peugeot…
Plus récemment, nous avons eu l’immense bonheur de le rencontrer en 2010 lors de l’hommage à Charles Deutsch à l’occasion du Salon de Reims.
Une fois encore nous avons été émerveillés par ses explications et démonstrations techniques qu’il a bien voulu donner au cours d’une séance publique de questions réponses.
Véritable bouillon d’idées, Robert Choulet, n’a pas fini de nous étonner !
Voici l’avis de Gérard DUCAROUGE qui a travaillé avec Choulet sur la MATRA 640
GD – « Je ne suis pas certain qu’il y ait fondamentalement différentes façons de faire de l’aéro, et pourtant avec Choulet, j’étais embarrassé.
Ce devait être parce que toutes les voitures sur lesquelles il avait travaillé étaient plutôt grosses, pataudes et je n’aimais pas trop.
J’essayais de lui dire de faire moins volumineux et plus simple, plus près de la mécanique.
Nous avions parfois des discussions animées tous les deux, on n’était pas toujours d’accord.
Malgré tout nous avons toujours gardé de bons rapports.
Il dessinait ses formes de carrosserie et il allait essayer ses maquettes à la soufflerie Effel, rue Boileau à Paris, c’était un peu la préhistoire cette soufflerie, mais elle avait l’avantage d’exister et il la connaissait par cœur, c’est un très bon ingénieur, pas antipathique, mais un peu têtu et un peu professeur Nimbus. »
Pour terminer, que de plus beau que de voir et d’entendre Robert Choulet nous expliquer tout cela lors de la conférence de Presse à Reims en juin 2010.
Charly RAMPAL (Photos Archives Moteur Moderne)