« CHRISTINE » ET ROGER : L’AMOUR BRISE
Voilà un prénom assez courant dans les années soixante, mais celui là, pour nous mépistes, a un coup au cœur particulier !
En effet, Christine Beckers, née le 4 décembre 1944 à Bruxelles, a été la compagne de Roger Dubos.
Roger et Christine, c’était mieux qu’un conte de fées. Dans ces contes qui commencent toujours par « il était une fois… », le prince charmant enlève toujours une princesse aux pieds nus, puis, une fois épousée et materné, il s’en retourne à ses occupations : la chasse ou la guerre. La princesse se réfugie alors dans l’art de filer le lin et d’éduquer de nombreux enfants. Le conte se termine toujours avant de savoir, si la princesse maintenant aux pieds chaussés d’or est heureuse…
Dans le conte des années soixante, les barres d’immeubles sont moins romantiques et il faut se référer à Jean Ferrat pour connaître le sort de ces pauvres épouses pas encore émancipées et qui passeront leur vie « entre une table et une armoire » où elles n’avaient même pas le temps de penser ! Fallait-il en pleurer ou en rire : Jean avait posé la question.
Mais pour nos deux tourtereaux, pas de ségrégation dans leur conte : une auto pour deux, des courses où l’on vit ensemble, une vraie vie commune au travers d’une même passion : l’automobile.
Nous sommes sur le circuit de Spa-Francorchamps, ce circuit qui apporta à « Christine » sa fiancée, ses premières émotions et qui motiva sans doute sa vocation, lui apportant aussi ses premiers lauriers.
Ce jour là Roger Dubos ne viendra pas. Il est mort dans un accident stupide qui ne le concernait pas.
Mais pour elle, il est toujours là et elle continuera à piloter, car elle sait que Roger n’aurait pas accepté qu’elle renonce. Il sera toujours à ses côtés dans l’auto qu’elle maitrise : Il la juge, la conseille, l’encourage…
Courageuse, lucide, animée d’un profond désir de vivre « Christine » ne fuit pas l’image d’un bonheur compromis, tout du moins dans sa matérialité. Roger était un maitre à piloter, « Christine » était une maitresse à aimer.
Pourtant, à cette époque, on était toujours tenté d’imaginer une fille attirée par l’automobile, comme une personne victime d’une erreur de la nature !
Pour « Christine », ce n’est pas le cas.
Nullement garçon manqué, elle fut une petite fille bien soignée portant jupe écossaise,, chaussettes de laine blanche et chemisier avec « smocks » : je vous fais grâce des rubans tenant couettes ! Vous voyez à qui je fais allusion…
Très mignonne comme vous pouvez le juger ci-dessous :
Un de ses frères était un excellent pilote et comme pour beaucoup de familles belges, elle vouait un culte particulier à la course automobile. Et chaque année, elle ne manquait pas les deux rendez-vous phare : les 24 H de Francorchamps et le GP de F1.
Comme les enfants de cette époque, les études passaient avant toute passion. Son père ne lui laissait guère le choix : « tu fais tes études ou c’est la pension ! ». Une section Certificat études littéraires à l’Université sauva la situation. Motivée, « Christine » passa l’examen avec succès. Elle voulait être journaliste…
Et l’automobile dans tout ça ? Ce sont ses frères qui vont amener sans le vouloir « Christine » à s’intéresser à la « chose » automobile.
Comme nous tous les passionnés de sport-auto à l’époque de notre adolescence, nous inondions les recoins de la maison de toutes les revues automobiles.
Pas de « réseaux sociaux » et c’est dans « ces fichiers » que « Christine » regarde les photos de ces pilotes qui l’impressionnent en risquant leur vie presque dédaigneusement, comme les preux chevaliers de ces contes moyenâgeux.
La plupart des minets à pattes d’éléphant choisiront Gérard Philippe ou Johnny Halliday, mais « Christine » choisira les Dan Gurney, Jo Schlesser , Jim Clark, Graham Hill, etc…
Son regard sur la course ne va plus être le même : elle s’intéresse aux hommes, aux pilotes, ces dieux, qu’elle ne peut approcher, ni toucher…
Un dicton dit : « ce que femme veut, elle l’obtient ». « Christine » ne tarde pas à franchir les barrières séparant le public du monde privilégié de la course. Des barrières qui ne demandaient d’ailleurs qu’à se lever devant une douce jeune fille timide. Elle fait la connaissance de Lucien Bianchi qui n’a jamais oublié « la Dingue » qui le harcelait pour avoir des « pass » pour les stands.
On ne la prend pas au sérieux quand elle déclare « Je veux devenir pilote de F1 ».
Peu à peu elle va mettre le pied dans ce sport en participant à des reconnaissances de rallyes avec JM Laguae, un rallyeman belge qui va aller jusqu’à proposer au concessionnaire NSU d’engager « Christine » pour un rallye féminin au volant d’un Prinz IV.
Elle va prendre ainsi soudainement conscience que la course automobile demande beaucoup à ses adeptes et quelque fois tout : la mort durant ce rallye d’un de ses amis, Henry Vittel.
Après d’excellents débuts en compétition de ski, dans le championnat de Belgique à Val d’ Isère, elle décide de s’orienter définitivement vers la course automobile.
Nous sommes en 1966 et elle a 22 ans.
Elle va courir en rallye au volant de toute la gamme NSU et s’engage même à la coupe du Roi aux 24h de Spa où elle remporte la coupe des Dames.
Championne de Belgique, elle grimpe rapidement les échelons. Elle passera sur Alfa, GTV, GTA.
En 1970 elle est engagée officiellement par Alfa sur une GTAm, voiture redoutable dans la division 2 des moins de 2 litres…
Je vous la fais volontairement brève pour nous retrouver à la fin de 1971 où la vie de « Christine » va prendre une orientation totalement différente.
LA RENCONTRE AVEC ROGER DUBOS
L’évènement de cette année 71 va être la rencontre avec un jeune pilote français, considéré comme l’un des plus sérieux espoirs du sport automobile. Ce n’est autre que Roger Dubos le brillant vainqueur du critérium de la Formule bleue de 1969. Il avait écrasé le plateau à chaque course au volant de sa MEP X2.
Alors que Roger est plein de projets après avoir signé un contrat pour défendre les couleurs de Elf en Formule Renault, « Christine » est triste, elle veut abandonner la course après une année désastreuse.
Roger lui, ne va pas se consacrer uniquement aux circuits. Il doit participer au rallye de Monte-Carlo avec Touroul sur une DS21.
Il voit « Christine » après le Racing Car Show. Justement le projet avec Touroul a échoué pour Monte-Carlo. Roger dispose d’un petit budget de Total pour le rallye et on lui propose une Alfa 1750 berline à louer pour le rallye.
Maintenant, il a la voiture, mais pas de coéquipier. Il propose alors à « Christine » de partager cette monture, elle qui s’était toujours juré de ne pas être une co-pilote.
Mais elle accepte guidée par ce sentiment trouble et indéfinissable dont naîtra un grand amour.
Le rallye n’est pas glorieux, il se termine dans le fossé du côté de Grenoble dans un secteur de liaison difficile : ils ne se quitteront plus.
Mais Roger n’accepte pas que « Christine » renonce à courir. Il l’oblige à prendre au sérieux les propositions de Bob Neyret qui veut l’incorporer dans son équipe féminine.
Elle accepte en raclant les fonds de tiroirs et achète un mulet Alpine 1600 : c’est l’une des conditions du contrat.
« Christine » est engagée sur une Alpine 1800 Mignotet, qualifiée « d’usine » : une voiture en principe pour gagner.
Pourtant elle se traîne, elle se fait régulièrement « déposer » par des voitures moins puissantes.
C’est Roger qui, le soir au téléphone, lui conseilla de vérifier si le papillon des carbu ouvre à fond. La panne venait de là ! On y remédie, mais c’est trop tard pour la victoire. Déçu par l’écurie, elle décide d’arrêter sa collaboration.
OBJECTIF : TROUVER UN SPONSOR
Il lui reste son « mulet ». Roger lui suggère de le faire préparer et de tenter de remporter une nouvelle fois le titre de championne de Belgique. Une carte de visite qui lui sera très utile pour trouver un sponsor.
Roger est lui aussi très déçu par sa saison en Formule Renault, ça n’a pas marché comme il espérait. Il veut maintenant orienter sa carrière vers le prototype dans les courses du championnat du monde des marques.
« Christine » participe au championnat de Belgique avec son Alpine Gr4 et une Alfa Gr1 prêtée par son ami de toujours : Etienne Stalpaert. Elle gagne dans les deux groupes le titre.
Pendant l’hiver 72, ils consacreront leur temps à constituer un dossier qu’ils présenteront à un maximum de firmes.
Le projet porte sur la constitution d’une écurie avec une Chevron B 21 de 2 litres pour laquelle Roger a eu un véritable coup de foudre et dont ils se partageront le volant dans les épreuves du championnat du monde. La société Dinitrol est séduite et donnera son accord en mars 1973.
Leur première sortie se solde par une victoire en 2 litres lors des 4H du Mans. Puis, coup du sort, la cousine de « Christine » qu’elle adorait, se tue en voiture, elle en est très affectée. Il faudra toute la patience et la gentillesse de Roger pour que « Christine » ne renonce pas définitivement à la compétition.
Pour Roger, les choses vont bien. Il s’est vu confier par Citroën la direction de l’école de pilotage du circuit d’Albi : un job qui le passionne.
Les deux tourtereaux se sont même installés à Albi dans une ravissante petite maison. Le mot mariage est souvent évoqué, même de plus en plus souvent : à cette époque cette union voulait encore dire quelque chose !
Roger a beaucoup changé vis-à-vis du sport automobile « il faut courir avant tout pour se faire plaisir » disait-il !
LE PREMIER WARNING
Les courses de la saison s’enchainent. Au Mans une première alerte intuitive vient de naitre dans le cœur de « Christine » : aux essais, Roger est tombé en panne d’essence sur le circuit. Pas de nouvelle « Christine » a eu peur et elle lui a dit.
« T’es bête, comme s’il pouvait m’arriver quelque chose » lui a-t-il répondu de sa voix rassurante.
C’était le bonheur conjugal, tout marchait bien et Roger était heureux dans son boulot de moniteur à Albi.
Au volant, c’est un véritable copier / coller entre eux deux. Roger lui avait dit : « quand tu conduis, c’est comme si je conduisais moi-même… ».
LE DRAME
La course fatidique de Spa réservée aux Tourisme n’était pas prévue au programme de Roger. « Christine » courrait sur une Opel Commodore et une Alfa de la Solar a été proposée à Roger libre de tout volant. Il accepte.
Ce fut le drame… La radio qui annonce l’accident entre trois voitures… les pilotes sont indemnes… Roger est parmi eux… La tête des gens qui croisent « Christine » qui ne s’inquiète pas.
Sur les conseils d’une amie, elle va quand même à la direction de course rayon sécurité : on ne sait jamais.
Ballot Léna revient en larmes au stand. Les gens tournent la tête en voyant « Christine », la tension monte et c’est enfin François Landon qui annonce la terrible nouvelle : Roger Dubos est mort !
Comme un automate « Christine » se redresse, soudain dans son esprit se dresse Martin Gray, cet écrivain américain dont la femme et les quatre enfants ont péri dans un incendie de forêt. Elle a lu son livre quelques semaines auparavant. Elle puise dans les mots et les phrases de Martin Gray le force de vivre.
Elle convoque les journalistes, assume les démarches administratives et surtout décide de continuer à courir. Pour Roger dit-elle, pour entretenir notre passion commune, pour ne pas le quitter…
PALMARES DE ROGER DUBOS (Origine Racing Sport Cars)
1971 à 1973
« Remasterisé » par Charly RAMPAL à partir des documents et récits de J. LERUST
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