LE MONOMILL : PREMIERE FORMULE DE PROMOTION
Panhard et DB encore d’avant-garde !
C’était un hiver que la mémoire parisienne a retenu comme l’un des plus froids. A Champigny-sur-Marne, commune de la banlieue Est « La Monomill est née ».
Ainsi titrait la dernière page du journal « L’Equipe » datée du 18 janvier 1954.
Deux semaines plus tard, le 2 février, la première monoplace du nom, quittait l’atelier pour les rues verglacées des bords de Marne. A son volant, René Bonnet, concepteur du programme ambitieux, s’assure que l’engin est fin prêt.
L’idée d’une formule de promotion, certainement la plus originale et équitable, nous la devons à cet homme de 49 ans qui à l’heure où nos grands constructeurs n’y avaient pas pris attention, non seulement symbolisait avec réussite l’honneur et le prestige du bleu de France en compétition, mais encore plus, dynamisait la voie d’un avenir auquel notre présent a donné raison.
On doit s’émerveiller du quasi-miracle qu’ont représenté les exceptionnelles et novatrices voitures qui entre 1938 et 1964 ont vu le jour au sein de son entreprise dont les murs ne couvraient que 800 m² et ne disposait pour seuls moyens financiers que des traites à régler le 10 de chaque mois. Au fil de ses persévérantes années de création, René Bonnet était accompagné des apôtres qui étaient la vingtaine de compagnons de son garage. Citons les mécaniciens, Lino Laurenti, Bruno de Marchio, Roger Guilpain, René Faye ; les tôliers André Renault, René Dufossé et le contremaître Jacques Seyer... Il y avait aussi Charles Deutsch, le vieil ami, Ingénieur Polytechnicien qui a ses heures perdues collaborait à l’aventure des voitures bleues au nom de leurs initiales réunies : le D de D.B..
L’origine de la Monomill remonte à 1949, année où Citroën décide de ne plus voir sa mécanique associée avec l’audacieuse aventure D.B., jugée inopportune eu égard de la volonté conservatrice de la marque au double chevron. Toujours à cette époque et venant d’Angleterre, le mouvement amateur Formule 3, Racer 500cc, faisait son apparition. D.B. avait donc réalisé une Racer 500 animée d’une mécanique Panhard revisitée.
Pour la précision, c’est Georges Boschetti, (le cousin de Deutsch, petit actionnaire de la société EPAF qui produit les D.B. et futur acteur d’une belle carrière chez Peugeot) qui dessina les plans de l’engin dont Deutsch fut, principalement, instigateur de la remarquable suspension arrière.
De la carrière des Racer 500 D.B., René Bonnet restera satisfait avec modération. La belle aventure s’avérant dans son ensemble plus utopiste que sérieuse. Profitant des failles (ou largesses) du règlement certains constructeurs concurrents avaient réalisé des véhicules pouvant difficilement se reconnaître comme une automobile : avec une transmission par chaîne, pas de marche arrière, etc. Les D.B., elles, n’iront jamais se perdre à jouer leur identité. Il y eut tout de même de belles victoires des Racer de Champigny, dont la plus retentissante, le 31 mai 1951, celle du pilote allemand Helmuth Glöckler sur le circuit d’Hockenheim.
Il faudra attendre l’après midi du 28 octobre 1953, pour que l’idée de la formule Monomill jaillisse. Ce jour-là, au Palais des Sports d’hiver de Paris (le célèbre Vel’d’Hiv’) des petits bolides venus des U.S.A. et que l’on nomme « Midget », viennent y faire une démonstration. Ces machines de 40 chevaux et dont la vitesse de pointe ne dépasse pas de beaucoup les 100 Km/h produisent cependant un poignant spectacle . La formule du règlement est simple. D’un poids minimum de 170 Kg, toutes les « Midget » sont animées par un même moteur de moto « Indian » de 1200cc. Invité à prendre le volant et s’essayer à tourner sur la piste aux virages relevés, René Bonnet comprend l’intérêt de la formule monotype qu’il va reprendre pour son compte, et l’améliorer, jusqu'à proposer la solution la plus radicale et la plus apte à désigner les champions de demain.
La première formule de promotion automobile au monde, de l’ère moderne, était pensée.
Comme toujours il ne manquait que les moyens financiers. Depuis 1952, Marc Gignoux, un petit industriel Lyonnais de la chimie, faisait partie des clients pilotes. Grâce à son aide, D.B. avait pu initier l’amorce de production en chaîne d’un véhicule sportif destiné à une large clientèle et mettre en chantier une série de tanks de course très modernes en vue de la saison 1953.
Tout naturellement il fut sollicité pour que la formule Monomill puisse voir le jour. A la réalité, Gignoux authentique sportif, avait déjà beaucoup donné (et dépensé) pour sa passion, et son entreprise (Gifrer) lui échappait entre les mains d’un groupe plus puissant. Il eut le grand mérite de ne pas s’effacer devant le nouveau projet que lui présentait René Bonnet.
C’est à lui que l’on doit le lien de confiance du principal actionnaire financier de l’opération : le groupe Lyonnais Socodec. Cette entreprise qui s’était spécialisée dans la formule (nouvelle pour l’époque) du crédit pour l’achat de motos et scooters, devait permettre le financement pour réaliser 20 monoplaces et l’acquisition des moyens logistiques nécessaires pour leur transport et leur entretient sur les circuits. L’idée forte était là !
La Société Française des Véhicules de Course (présidée par René Bonnet, regroupant Deutsch, Gignoux et la Socodec) restait la propriétaire de toutes les machines dont elle allait mettre le potentiel, à égale disposition de plateau, entre les débutants de clubs régionaux et une équipe de pilotes chevronnés. Telle une caravane de cirque, les Monomill vont aller de circuits en circuits (et jusqu'à Dakar) proposer un spectacle original et unique.
Les voitures Monomill (monotype moins de mille centimètres cube) dérivaient naturellement de la Racer 500. Le moteur Flat-twin Panhard n’avait plus besoin de réduction de cylindrée. Ses 850 cc préparés libéraient 55 chevaux à 5500 tours par minute et entraînaient les 310 kg de la monoplace traction avant (L 3,07m, l 1,22m, h 85cm) à près de 175 km/h.
Le financement de l’opération reposait en priorité sur la récupération des primes de départ, sur l’aide apportée par le pétrolier Shell, le manufacturier Dunlop et à moindre proportion, la location des monoplaces aux clubs et pilotes engagés.
Le 9 février, tandis que le froid sévissait à rendre toujours impossible l’usage de la piste de Monthléry, le baptême public de la Monomill se limita à la chaleur des élégants salons parisiens du traiteur « Laurent ». La vague de froid sera telle qu’il faudra attendre le 7 mars pour amorcer la première des trois séances de mise au point sur circuit.
C’est dans le cadre des coupes de Paris, le 25 avril, sur le circuit de Monthléry que la première course eut lieu. Le rituel de la formule vaut d’être mentionné. Des débutants sont confrontés à des pilotes vedettes tels Pierre Levegh, Alfonso de Portago, Harry Schell, Marc Gignoux, etc... Juste avant chaque épreuve, des jetons disposés sur un damier géant, portant le numéro caché des voitures qui seront attribuées, sont tirés au sort par les pilotes. Deux courses éliminatoires et une finale permettent ainsi à une trentaine de prétendants de se confronter. Ce seront Georges Burgraff et Jean-Claude Vidilles qui remporteront les éliminatoires. La victoire finale reviendra, à Joseph Schlesser. Le public ne s’y trompera pas. Habitué à voir se confronter des voitures disparates et aux performances forcément éloignées, c’est une formidable liesse populaire qui accompagnera le spectacle bourdonnant donné par le groupe compact des agiles monoplaces bleues qui se doublent et se redoublent sans cesse.
Il faudra attendre la seconde course, disputée devant 15.000 spectateurs sur le circuit d’Albi le 30 mai, pour que le nom qui nous intéresse, celui de Paul Armagnac, puisse pour la première fois s’associer avec l’histoire D.B.. Cette entrée en matière se concrétisera par un podium de bronze, juste derrière Roberto Mières et Claude Storez.
Le 27 juin, à Aix-les-Bains, Armagnac terminera 6eme.
De triste mémoire, la couse du 11 juillet sur le circuit du Comminges sera endeuillée par l’accident du Docteur Azema.
Le 25 juillet, sur le Circuit de Caen, Paul Armagnac est vainqueur.
Le 18 Août à Narbonne Plage, il réédite le même classement. Il prend à ce moment la tête et remporte le Chalenge Dunlop qui désigne le champion annuel et qu’on lui décernera le 10 octobre 1954, lors de la dernière épreuve.
Notons que c’est à l’occasion de sa victoire en compagnie de Gérard Laureau, le 11 septembre, lors du Tourist Trophy couru à Dundrod en Irlande, que Paul Armagnac glane son entrée en tant que pilote officiel de l’écurie D.B. qu’il ne quittera plus.
Pour la saison 1955 le calendrier Monomill, de début de saison, ne retient que 2 courses à Monthléry et une épreuve en Tunisie le 22 mai. René Bonnet qui réside à Ormesson-sur-Marne y échafaude également le projet d’une course en ville. Par ailleurs, quelques Monomill sont vendues au Club des Mille, l’école de pilotage qui vient d’ouvrir ses portes sur le circuit de Monthléry. La première épreuve de l’année se déroulera finalement le 13 mars, au Sénégal, sur le circuit de Dakar. Paul Armagnac, vainqueur de la seconde manche éliminatoire s’incline second derrière Claude Storez.
Le 5 juin sur le circuit des remparts à Angoulème , Armagnac est 5ème.
C’est une victoire de Pierre Savary.
Les 11 et 12 juin, l’accident tragique des 24 Heures du Mans déclenchera l’interdiction du sport automobile en France. Il n’aura pu se dérouler que deux épreuves de Monomill en 1955.
La situation financière peu brillante en résultant pour la Société Française des Véhicules de Course, jettera un froid encore plus amer que celui qui a toujours été lattent entre l’esprit des financiers de la Socodec et la mystique sportive cocardière de René Bonnet. Les échéances des crédits ne peuvent être remboursées. La saison 1956 s’amorce dans un blocus total entre les partis. Les monoplaces bleues restent clouées, immobiles, dans les garages de Champigny.
Le camion atelier et le semi remorque géant ont déjà été revendus à Bugatti pour sa nouvelle écurie. Et quand un espoir renaît à voir les Monomill reprendre leur mission, c’est la crise pétrolière de Suez qui tue dans l’oeuf les projets escomptés. Pris en tenaille entre son amitié pour René Bonnet et ses engagements moraux envers la Socodec, Marc Gignoux est désigné pour liquider le stock des monoplaces qui seront tristement vendues à qui en voudra.
Sa position malheureuse le conduira à éponger les procès liés au désastre financier et ce jusqu’à oubli et lassitude en 1967. C’est ainsi que la Société des Véhicules de Course ne sera jamais dissoute ! Ce qui est tristement ironique, c’est qu’à compter de la saison 1957, et jusqu'à aujourd’hui, les Monomill continueront sans interruption à contribuer au plaisir de l’affrontement de leurs pilotes, devenus propriétaires. Et les voir courir passionnera toujours le public.
Comme les grandes aventures d’amour qui ont manqué leur espérance, leur sujet reste passionnel. On en volera (celle d’Alain Dagan chez le musicien Alix Combelle et que son frère ne retrouvera jamais), on en construira nombre de répliques en oubliant de le préciser à leurs acquéreurs…
« Les gros chiens aboient, les petits Monomill passent », pouvait-on lire en devise peinte à la demande de René Bonnet sur le camion qui naguère les transportait. Il ne s’était pas trompé.
Charly RAMPAL