« Nous allons réaliser une 1.000 cm3 qui roulera à 300 km/h. Si vous rejoignez notre équipe, vous dirigerez ce projet ! »

C’est par ces paroles stupéfiantes que Charles Deutsch concluait un entretient avec Robert Choulet, dans son bureau de la rue Talleyrand, en février 1963 : 8 jours plus tard, le jeune ingénieur qu’était Robert Choulet, faisait connaissance avec cette fameuse équipe CD et immédiatement les projets allaient s’enchainer.

C’était d’abord l’étude de la DKW-CD de Bertaut / Guilhaudin pour Le Mans 1963,

puis la Panhard-CD du Mans 1964

et la CD-GRAC pour 1965,

trois voitures dont je vous ai raconté l’aventure dans la rubrique « Voitures » – « CD ».

Enfin, la CD-Peugeot du Mans 1966, objet de cet article.

Tout cela, mené en parallèle avec la mise en route de la commercialisation du coach CD, dérivé de la voiture ayant gagné l’indice de performance au Mans en 1962, la définition d’une voiture de record bâtie sur le projet CD 64 ; l’avant projet de la CDBM1 réalisé en collaboration avec Bertin et le Moteur-Moderne , l’étude d’un véhicule spécial amphidrome pour l’aéroport de Paris…

Par ailleurs, ces études de projets s’accompagnaient, pour le compte du Ministère des transports, d’études théoriques de simulations numériques du comportement routier – domaine dans lequel Charles Deutsch était un précurseur – afin de développer les connaissances sur la sécurité des véhicules de Tourisme.

Ainsi le bureau d’études CD était, dès cette époque, un bouillonnement de recherches théoriques et appliquées, la synergie entre ces deux aspects se faisant sans aucun délai par les essais des CD de courses sur les pistes, notamment chez Michelin à Clermont-Ferrand.

Dans ce contexte, l’étude, la réalisation, l’exploitation en course et le développement de la CD-Peugeot LM 66 allaient être, sur une durée de 2 ans, l’aventure de l’engagement sans limite d’une équipe de passionnés.

LES ACTEURS DU PROJET

Sous la direction de Charles Deutsch, Robert Choulet était responsable de la conception du véhicule, tandis que la réalisation était confiée à Gilles Gazel-Anthoine, centralien comme Robert Choulet.

Les études de détail des châssis, suspension et carrosserie étaient réalisés par Jean-Claude Haenel, Boris Plotnikoff et Michel Bonnet.

Tandis que pour les études aérodynamiques en soufflerie, Robert Choulet pouvait compter sur Lucien Romani assisté de D’Heurle et de Jarry.

Plus tard dans le cours du projet, l’équipe allait se renforcer par l’arrivée de Michel Tétu spécialement chargé des études de comportement routier.

A l’atelier, l’équipe technique se complétait des mécaniciens Seckler, Chevalier, Leroux et Chenailler, chargés de l’assemblage, du réglage et des révisions des voitures.

Parallèlement, le groupe propulseur était développé, dans sa version Le Mans, par les ingénieurs du Centre d’Etudes Peugeot, à la Garenne.

Un développement spécial, maxi couple était par ailleurs réalisé par Jacques Pichard et son équipe du Moteur-Moderne.

Michelin s’engageait avec toute cette équipe dans un véritable partenariat en leurs ouvrant ses pistes et ses laboratoires d’analyse véhicule, tout en leurs fournissant pour essais de nouveaux équipements continûment développés, dont notamment de nouveaux pneumatiques slick.

Les essais de développement étaient confiés à Alain Bertaut, tandis qu’Etienne de Valance assurait la direction sportive de l’Ecurie.

ESSO était le sponsor principal de l’Ecurie qui bénéficiait par ailleurs, pour la réalisation des carrosseries, du concours du département composites de Chausson.

LES CHOIX TECHNIQUES

Robert Choulet avait convenu avec Charles Deutsch, de la nécessité d’adopter le moteur central arrière, afin de permettre une bonne motricité pour des puissances supérieures à 100 ch.

Ce changement de cap, après la réalisation des CD-Panhard de 1964 à traction avant qui se conduisaient avec la plus grande facilité, allait leur valoir, au début, maintes difficultés, constituant un apprentissage accéléré des subtilités du comportement dynamique des voitures à centrage arrière.

LE CHASSIS

Il visait, pour un poids raisonnable de 72 kg, à :

  • assurer un très haut niveau de rigidité, tant de flexion que de torsion, notamment dans le plan horizontal.
  • Intégrer plusieurs fonctions, dont celle du réservoir de carburant (situé entre moteur et habitacle) et de carénage inférieur.

Pour cela, sa géométrie générale était celle d’une plate-forme rectangulaire dont les longerons étaient surtout rigides en flexion, les traverses caissons rigides en torsion, le tout associé à un plancher travaillant.

Ce châssis était réalisé en tôles d’acier d’emboutissage, soudés par point ou rivetées, de 4, 5 et 6/10 de mm d’épaisseur avec quelques renforts au droit des attaches, en 8/10 de mm.

Voici en quelques photos, les étapes du montage du châssis avec ses éléments :

LES LIAISONS AU SOL

Cinématique :

Les liaisons cinématiques entre châssis et porte-roues retenaient :

  • à l’avant : des doubles triangles, formés d’éléments réglables,
  • à l’arrière, un système de 5 bielles réglables en longueur.

Ce système à 5 bielles constituait une innovation.

Robert Choulet l’avait ainsi créé pour faciliter la réalisation d’un carénage inférieur en forme de diffuseur au droit de l’essieu arrière afin d’obtenir une portance aérodynamique nulle.

Les 2 bras transversaux de guidage, remplaçant le classique triangle inversé, étaient  situés au niveau de l’arbre de transmission, de part et d’autre, ce qui permettait un carénage inférieur présentant, au droit de l’essieu arrière, une garde au sol importante.

Ce système à 5 bielles présentait par ailleurs, l’intérêt de permettre un découplage facile des taux d’anti-plongée et d’anti-cabrage tout en donnant la maitrise – favorable au contrôle de stabilité – des micro-braquages induits par le roulis, le pompage et le tangage.

Les géométries avant et arrière présentaient un assez fort pourcentage d’anti-plongée et d’anti-cabrage, assurant, en propulsion et en freinage, une bonne stabilité de plate-forme malgré des flexibilités de suspension relativement importantes.

Ressorts – Amortisseurs – Antiroulis :

Ce classiques combinés ressorts / amortisseurs assuraient la suspension, avec dispositif de réglage de la garde au sol sur les coupelles de ressort.

Les trains avant et arrière étaient équipés de barre antiroulis.

Direction :

La direction dérive d’un boitier de série, était du type à crémaillère, et située an avant de l’essieu avant. Sa démultiplication était de 18 / 1.

Transmission :

Boite à 5 vitesses ave différentiel libre, transmettant la puissance aux roues par deux arbres monopièces, chacun équipé de 2 joints tripodes Glaenzer.

Freins :

Le freinage était assuré par des disques pleins de 268 mm de diamètres et de 10 mm d’épaisseur équipés d’un étrier en alliage d’aluminium par roue, de type Girling A.

La commande était réalisée à l’aide d’un palonnier actionnant deux maitres-cylindres, permettant le réglage de la répartition du freinage : comme nous les avons sur nos MEP X2 dont le système de freinage est d’origine Peugeot 204.

Le souci d’obtenir un effort à la pédale modéré avec une élasticité limitée ainsi que d’éviter des problèmes de fading avait conduit au choix peu courant à l’époque, de roues de 14 pouces de diamètre autorisant ainsi des freins de grands diamètre.

Roues – Pneumatiques :

Les jantes, ce conception CD, en alliage de magnésium, d’un diamètre de 14’’, étaient à l’origine, d’une largeur de 5’’ à l’avant et de 5,5’’ à l’arrière.

Ces largeurs furent portées, en août 1966, à respectivement 5,5’’ à l’avant et 8’’ à l’arrière.

Les pneumatiques étaient de marque Michelin bien entendu.

Aérodynamique et carrosserie.

C’est dans ce domaine que les objectifs de conception étaient très élevés.

Robert Choulet, maitre en la matière, s’était fixé de réaliser un véhicule dont le Cx route serait égal ou inférieur à 0,15 tout en présentant, en assiette moyenne, une portance et un moment de tangage aérodynamique nuls ainsi qu’un moment de lacet proche de zéro en dérive ou par vent latéral.

A partir des maquettes destinées aux études aérodynamiques en soufflerie, Robert Choulet va établir les conditions de base.

La première condition sur le Cx aboutit à la définition de forme que l’on connait, où les bossages des passages de roue et le cockpit étaient très intégrés dans le corps principal.

Les deux autres conditions de portance et de moment de tangage nuls étaient obtenues grâce à l’angle d’incidence piqueuse de la voiture, au diffuseur qui s’amorçait sous le moteur (permis par la suspension à 5 bielles) et à l’inflexion en forme de becquet intégré qui terminait le profil longitudinal de la voiture.

Le condition sur le moment de lacet très proche de zéro était remplie grâce à 2 grandes dérives arrière vrillées, à profil évolutif.

Le vrillage faisait qu’elles n’engendraient aucune trainée induite parasite.

La circulation interne de refroidissement du radiateur d’eau était installée à l’avant avec prise dynamique dans le bord d’attaque du corps principal de la voiture et sortie sur le dessus du capot avant.

Un échangeur eau-huile situé devant le moteur assurait le refroidissement de l’huile de l’ensemble moteur-boite de vitesses.

Les freins avant disposaient de prise d’air dynamiques intégrées dans la pris d’air principale du radiateur.

L’air d’alimentation des carburateurs et des freins arrière était capté par une prise d’air tangente à la surface de carrosserie, à l’arrière du cockpit.

Elle était composée de deux fentes.

La première était un piège à couche limite, la seconde, divisée en 3, alimentant le moteur et les freins.

Carrosserie :

La carrosserie était réalisée en polyester et fibre de verre.

Elle comportait un moulage principal et 5 pièces rapportées : 2 portes, 1 capot avant, 1 capot arrière, une pointe arrière à dérives.

La conception de cette lui assurait une rigidité de base qui était renforcée par son boulonnage sur le châssis plate-forme.

Sa réalisation avait été assurée par les Services Techniques de Chausson.

La configuration longue queue avec dérive était utilisée sur les circuits rapides tel Le Mans, la configuration queue courte, complétée d’un becquet rapporté, étant réservé aux circuits sinueux.

Groupe Moteur :

Le groupe moteur dérivé du groupe Peugeot 204, équipé d’une boite à 5 vitesses, était très incliné vers l’avant (axe des cylindres à 15° de l’horizontale au lieu de 70 en série).

Ceci afin d’abaisser le centre de gravité du groupe qui pesait 140 kg.

Il était équipé d’un carter sec.

Charly   RAMPAL   (Document Moteur-Moderne et Robert CHOULET)