« Avec des « SI », on mettrait Paris en bouteille ». S I, deux lettres qui autorisent tous les espoirs, tous les rêves, même les plus fous. Chez Panhard, au début des années soixante, on rêvait ainsi d’un 4 cylindres. Un quatre cylindres maison, d’abord, pour lequel des études furent menées ; mais qui rencontrera le veto de la Maison Citroën, laquelle détenait alors les cordons de la bourse. Puis un 4 cylindres existant, acheté à un autre constructeur… Ce projet n’est pas devenu réalité. Mais il a réellement existé et fut sans doute assez près d’aboutir. Des documents découverts l’an dernier en témoignent.

C’est tout à fait par hasard, au mois de juillet 2009, que je suis tombé sur un petit dossier perdu au fond d’une armoire à Mulhouse, et oublié depuis très longtemps, datés entre le 7 mai 1965 et le 24 janvier 1966. Le document le plus ancien, du 7 mai 1965 donc, est une courte note de Pierre Bercot, le Directeur Général des Automobiles Citroën, adressé à Jean Panhard, qui dit ceci : « D’une lettre que je reçois d’NSU, il résulte que l’ensemble moteur/boite de vitesses/embrayage serait d’un prix aux alentours de 1.500 DM. D’autre part, NSU relance Alfa-Roméo au sujet de la Jeep. M. Von Heyde kampf (ndlr ; le PDG de NSU) ajoute qu’il espère pouvoir donner une réponse positive. »

Ceci atteste du fait que des contacts étaient noués depuis un certain temps déjà avec la firme allemande, en vue d’une livraison de moteurs NSU à Panhard. Le choix de ce constructeur n’a rien d’étonnant : depuis plusieurs années, la firme au double chevron entretient des relations avec lui au sujet du moteur à piston rotatif imaginé par l’ingénieur Félix Wankel, au point d’avoir fondé, en 1964 à Genève, la Comobil : cette société appartenant aux deux constructeurs consacre ce rapprochement. Elle disparaitra au mois d’avril 1967 au profit de Comotor, basée cette fois à Luxembourg et dont le but est de fabriquer des moteurs de ce type pour les deux constructeurs (Citroën équipera plus tard ses M35 et GS birotor de telles mécaniques).

UN 4 CYLINDRES NSU ET UN PROJET DE « JEEP » FRANCO-GERMANO-ITALIENNE

Cette courte note nous apprend deux choses : le projet de Panhard d’implanter l’ensemble moteur/boite de la NSU 1100 sous le capot de la 24, et un projet commun avec NSU et Alfa-Roméo concernant un véhicule de type « Jeep ». Ce dernier est nommé, sur d’autres documents, le « VCL » qui signifie : « Véhicule de Commandement et de Liaison ». Très peu de renseignements sont donnés sur ce projet, qui reste en discussion jusqu’au mois de janvier 1966, moment où il semble avoir été abandonné, après qu’une alliance avec le constructeur italien Innocenti ait été envisage, après un supposé retrait d’Alfa-Roméo, comme le fait remarquer un courrier de Jean Panhard du 24 janvier 1966, au Directeur technique de NSU, M. Frankenberger : « Je vous prie de trouver ci-incluses photocopies de la lettre que nous avons reçu d’Innocenti, et de la réponse que nous lui avons faite. Nous avons donc été malheureusement à un échec, dont je pense que l’origine est toujours la même. Je crois qu’il faut que nous renoncions à cette affaire…. »

Les autres notes portent sur les caractéristiques techniques et les adaptations à réaliser pour permettre l’implantation du moteur NSU 1100 sous le capot de la 24 et donc un montage en traction avant alors que sur la NSU ce moteur est à l’arrière, le prix de revient de l’opération et les délais de livraison.

MODIFICATIONS TECHNIQUES ENVISAGEES

Une note du 16 juin 1965 fait état des lieux pour ce qui concerne les modifications nécessaires :
1. Basculement du moteur d’environ 14° vers l’avant (niveaux).
2. Montage d’une roue intermédiaire afin d’inverser le sens de rotation, d’une part, et d’obtenir l’entraxe moteur / sorties de pont qui avait été prévu pour le Kastenwagen ( ndlr : le fourgonnette), d’autre part.
3. Modification des planétaires pour adaptation de transmission permettant un angle total de 23°.
4. Déplacement de la jauge d’huile moteur.
5. Diminution du bossage de remplissage d’huile et obturation. Nouveau remplissage à prévoir.
6. Déplacement du carburateur et du filtre à air, modifuication de la tubulure d’admission.
7. Modification de l’anti-bélier de circulation d’huile.
8. Déplacement de la commande à dépression par rotation de l’allumeur
9. Déplacement du silencieux d’échappement.
10. Rotation de 180° de la commande de boite.

Le Dr Zorn, du bureau d’études NSU, fournit la réponse suivante :
1. Le basculement du moteur vers l’arrière de 14° entraine une montée du niveau d’huile et celui-ci se rapproche de l’axe du vilebrequin. En même temps, une plus grande partie de la ( ? ) de bielle est en face du niveau d’huile. La distance entre bielle et niveau d’huile pour un maxi de remplissage devient presque nulle. Il y a un risque que la bielle ne plonge plus dans l’huile lorsque la voiture descend une cote. Une modification du carter d’huile est nécessaire pour garder la distance actuelle, entre le niveau d’huile et l’axe du vilebrequin , pour une quantité d’huile identique. D’un côté du moteur, le joint du carter d’huile est situé constamment sous le niveau d’huile. Pour éviter une modification de la partie gauche du carter moteur, il faut tourner la boite de vitesses avec le moteur. Le remplissage d’huile de la boite doit être déplacé. Il peut en résulter des difficultés pour le graissage du différentiel. L’axe de commande doit être perpendiculaire par rapport à l’axe du joint. Comme cette condition n’est plus remplie, il faut revoir la commande de la boite.
2. Le montage d’une roue intermédiaire entre boite et différentiel a déjà été étudié.
3. Pour la transmission souhaitée, il existe des solutions constructives.
4. La modification du tube de juage d’huile est possible, pour pouvoir utiliser une jauge souple. L’emplacement de la jauge sur carter moteur est à étudier (pour faciliter l’accessibilité). Sur le moteur type 676, la seule place possible se trouve sur la carter de distribution.
5. Diminution de la hauteur du bossage de remplissage d’huile et obturation sont possibles. Il faut déterminer un nouvel emplacement sur le couvercle de la distribution, en prenant garde de conserver une accessibilité suffisante.
6. Une nouvelle tubulure d’admission est indispensable. Il faut étudier la possibilité d’utiliser la carburateur et le filtre à air de série.
7. Le montage horizontal du raccord (anti-bélier) n’est pas possible. Le montage de ce système dans le tube d’huile, ou une autre solution, sont à envisager.
8. La rotation de l’allumeur n’est pas possible. La commande à dépression doit être déplacée sur l’allumeur.
9. Le pot d’échappement peut être déplacé vers l’arrière de la voiture. Il faut prévoir une nouvelle fixation de l’échangeur pour le chauffage.

UNE VISITE A NECKARSULM

NSU-USINE

Les 26 et 27 juillet 1965, Jean Panhard et François Bedaux se rendent au siège de la société NSU à Néckarsulm pour discuter de l’adaptation du moteur 4 cylindres sur la 24. Il est ainsi convenu que, sans attendre l’étude détaillée de l’adaptation et son chiffrage, qui demanderont trois mois, NSU communique rapidement une estimation approximative du prix et une nomenclature provisoire. Après un essai de la NSU Prinz 1000 TT (dont la vitesse de pointe ressort à 148 km/h), un accord de principe est donné par Jean Panhard pour la fourniture complète de l’ensemble modifié. Le moteur actuellement monté par NSU fait 55 ch (DIN), mais un moteur poussé a réalisé 75 ch. Panhard table donc en fait pour une puissance d’au moins 65 ch.
Le pris de l’ensemble serait de 1.440 DM non compris les modifications au différentiel, et les livraisons sont envisagées pour la fin de 1966.
Le prix indiqué s’entend pour les pièces suivantes : moteur complet avec le mécanisme d’embrayage et son levier de commande, pompe à essence, carburateur, filtre à air, équipement électrique (démarreur, dynamo, allumeur), turbine de refroidissement, carter de la turbine, pot d’échappement avec échangeur pour chauffage, boite de vitesses avec commande, différentiel complet (sans arbres de transmission).

AVEC LA BENEDICTION DE CITROEN

Le projet est soumis à Pierre Bercot le 16 septembre 1965, et approuvé. Les quantités envisagées sont de l’ordre de cinquante par jour, chiffre qui pourrait être revu à la hausse en cas de succès commercial. Dans une lettre qu’il adresse à Jean Panhard, le porfesseur Von Heyde kampf confirme qu’il sera possible de livrer un moteur développant au minimum 65 ch, et pense pouvoir livrer une estimation de coût pour la mi-novembre. Il estime à un an le délai nécessaire pour que la production puisse démarrer, soit pour le mois de décembre 1966. Pour permettre la poursuite des études, Jean Panhard fait livrer une 24 à Néckarsulm dès le 18 octobre, et lui-même se rend sur place le 29 du même mois. Un technicien de l’usine accompagne la voiture pour pouvoir fournir toutes les indications utiles.
Voici le compte-rendu de cette visite par Jean Panhard, datée du 4 novembre :

En complément, quelques questions techniques sont posées aux techniciens de NSU :
• Pour permettre le passage des longerons, quelles sont les modifications à apporter au carter d’huile et au carter intermédiaire ?
• Demande d’un plan représentant la position des oreilles de fixation arrière, ainsi que le prise de compteur.
• Demande des plans des brides de transmissions Weiss et Glaenzer
• Un plan représentant un projet de suspension arrière est soumis au professeur Strobel (technicien de NSU) pour avoir son avis.
• M. Strobel doit fournir un plan du nouveau support avant alors en essai.

ETUDE DE PRIX

Dans le même temps, des études de prix de revient sont menées avenue d’Ivry. Au prix estimé de 1.500 DM, soit 1.845 francs français , ce moteur rendu à Parsi coûte en réalité 2.183 FF, compte tenu des droits de douane (7,5%) du transport et des modifications. Le Flat-Twin actuellement monté sur la 24 coute lui : 1.600 FF. Dès lors, l’augmentation du prix de vente de la voiture, compte-tenu d’autres frais à prévoir, pourrait-être de 810 FF.

A noter qu’en juin 1964, le prix brut d’une 24 (la note ne précise pas s’il s’agit d’une CT ou d’une BT) est estimé à 7.670 FF, qui se décomposent comme suit :
• Moteur =1.047 FF
• Boite = 563 FF
• Train avant = 974 FF
• Train Arrière = 352 FF
• Equipement mécanique = 528 FF
• Equipement carrosserie = 2.048 FF
• Carrosserie (fournie par Chausson) = 1.143 FF
• Garnissage = 754 FF
• Peinture = 255 FF

La dernière pièce de ce dossier est un courrier de Jean Panhard adressé à M. Frankenberger, Directeur technique chez NSU, en date du 24 janvier 1966. Il confirme l’abandon du projet VCL (Jeep) suite à la réponse négative du constructeur italien Innocenti, mais confirme la poursuite des études concernant l’implantation du moteur NSU 1100 dans la 24, et notamment l’arrivée imminente de moteurs envoyés par NSU avenue d’Ivry. Et puis… plus rien !

J’ai questionné M. Jean Panhard à ce sujet, mais, il ne se souvient plus avec précision des détails de cette affaire, il confirme que l’arrêt du projet résulte bien d’une décision de la direction de Citroën. Le quai de Javel a probablement estimé que l’investissement ne se justifiait plus pour un véhicule qui n’entrait pas dans ses préoccupations commerciales, au moment où la question de renouvellement et de l’extension de sa propre gamme commençait à devenir une question vitale : la succession de la 2cv (qui apparaitra en octobre 1967 : la Dyane) et l’introduction d’une 6cv (la GS, présentée en 1970) sont certainement beaucoup plus importantes à leurs yeux. Dommage… Cette belle opportunité tombée à l’eau, le destin de la 24, au-delà de la marque, est désormais scellé. On sait maintenant comment cela s’est terminé…

Bernard VERMEYLEN

Commentaires et photos de Charly RAMPAL :

Pour nous consoler si besoin, on retrouvera ce fabuleux moteur NSU sur une de « nos » MEP , la X7 que les Gayraud ont reconstruite :

MEP-X7-MOTEUR-NSU

Voilà ce qui aurait pu être une 24  NSU :

24-NSU-MONTAGE