Ils étaient sûrs d’eux. Ils savaient que leur voiture était capable d’atteindre les 200 km/h.

Et pourtant la cylindrée de la petite Panhard-CD n’est que de 702 cc.

Pour en savoir d’avantage, le journal Europe-Auto est allé interroger les artisans de ce succès : Charles Deutsch, le père spirituel et Etienne de Valance le Directeur sportif qui a dirigé les hommes pendant la course.

Europe-Auto :

Le Divorce entre D et B, dont vous étiez Monsieur Deutsch le D, avait créé, quatre mois avant la course, une situation très difficile. DB disparaissait.

Pouviez-vous combler le vide, construire dans un temps  record une nouvelle voiture ?

Vous l’avez fait, vous avez réussi un exploit technique qui n’est certainement pas inférieur à celui de vos vaillants pilotes : Bertaut et Guilhaudin.

Charles Deutsch :

J’hésite à accepter votre compliment. Comme vous l’avez constaté à Montlhéry, la voiture vient seulement d’achever sa mise au point.

Au Mans, il nous manquait presque tout le travail d’essai, les éléments qui nous auraient permis de connaitre à fond les possibilités de la voiture.

Nous sommes cependant partis avec une entière confiance, mais aussi avec beaucoup de prudence.

Si les 24 heures étaient à refaire aujourd’hui, je crois sincèrement que notre voiture marcherait plus vite et encore et peut-être avec plus de tranquillité.

Etienne de Valance :

J’en suis persuadé moi aussi.

Les consignes données aux pilotes restaient bien en deçà des possibilités de la voiture.

Notre record du tour, par exemple, a été obtenu en maintenant une réserve de puissance de plus de 500 t/mn.

Les 151,911 km/h de moyenne n’étaient pour nos Panhard qu’un plafond de prudence. Si vous suivez leur progression sur les carnets de route, vous serez frappés par leur extrême régularité.

(ci-dessous, en exemple d’authenticité, les feuillets originaux des temps tour par tour et des classements distances et indices)

La voiture gagnante faisait, le jour, entre 5’27’’ et 5’30’’.

La nuit entre 5’26’’ et 5’32’’.

Nos consignes aux pilotes étaient modulées : nous avions eu la satisfaction de constater qu’à deux ou trois secondes près, ils étaient toujours dans les temps que nous leur fixions.

Europe-Auto :

Vous avez joué la carte de la régularité.

 Les faits ont démontré la sagesse de votre politique puisque les voitures plus rapides n’ont pas réussi à terminer l’épreuve, qui est, ne l’oublions pas, une épreuve d’endurance.

Etienne de Valance :

Nous n’avions pas le droit de prendre des risques.

Ne connaissant pas suffisamment la voiture, il fallait exclure l’aventure, nous devions nous montrer très raisonnables.

Comme le disait Charles Deutsch à l’instant, si les 24 Heures devaient se courir de nouveau ce mois-ci, nous irions plus vite.

Même les pilotes l’ont très bien compris.

Ils ont rongé leur frein, mais ils ont obéi aux consignes que nous leurs avons données.

Europe-Auto :

Parlez-nous de ces 100 jours pendant lesquels s’est accompli le miracle de donner naissance à la voiture.

L’exploit est de taille, presque incroyable.

Etienne de Valance :

Il faut dire que ce n’est pas la victoire d’un ou de plusieurs individus, mais la victoire d’une équipe, d’une équipe étroitement soudée, qui a travaillé la main dans la main à partir du moment où, le 6 mars, M. Jean Panhard a fait preuve de beaucoup de sportivité en acceptant le risque d’une préparation aussi hâtives.

Nous nous devions de ne pas le décevoir.

Il faut citer dans cette équipe qui a été l’artisan de la victoire, aux côté de Charles Deutsch : Bertin, Romani, les sociétés O.T.P. et Le Moteur-Moderne, les services techniques Panhard et, bien entendu, tous les mécaniciens qui ont travaillé avec nous.

Charles Deutsch :

Tout le monde a fait des prouesses pendant ces 100 jours.

Je tiens à souligner la très grande compétence et la très grande compréhension des services techniques de Panhard que dirige M. Grangeas.

Mais ne croyez pas qu’une voiture de compétition s’improvise du jour au lendemain !

Celle qui a gagné les 24 Heures existait déjà à l’état de projet bien sûr, depuis 1959.

Nous avions, Bonnet et moi, songé à l’époque à remplacer le coach par une voiture mieux profilée.

Europe-Auto :

Pourquoi songiez-vous surtout à améliorer l’aérodynamisme plutôt qu’à travailler davantage sur le moteur ?

Charles Deutsch :

Nous tenons à rester fidèle au moteur Panhard tel qu’il est.

Vous n’ignorez pas que le moteur Panhard est un moteur culbuté, alors que les moteurs de compétition ont généralement adopté la distribution à double arbre à cames en tête.

Ce moteur reste un pur produit de la grande série avec ses trois qualités fondamentales :

  1. Le refroidissement par air
  2. Le rendement exceptionnel assuré par le montage des équipages mobiles (vilebrequin / bielles) sur rouleaux (brevets Panhard) plutôt que des coussinets. L’ensemble autorise une grande vitesse sans soucis d’usure.
  3. Le rattrapage hydraulique de la commande des soupapes et le rappel de celles-ci par des barres de torsion.

Je tiens à cette occasion à souligner tout le mérite de ce technicien modeste et trop méconnu qu’est M. Delagarde chargé des recherches chez Panhard.

Ces qualités confèrent à la mécanique Panhard une valeur technique exceptionnelle.

Dans les limites du moteur culbuté, nous sommes déjà à une puissance très élevée et difficile à dépasser sans toucher aux principes mêmes du moteur, ce qui n’entre pas dans la politique générale de la firme.

Europe-Auto :

Pouvez-vous expliquer les différentes phases de la mise au point de l’aérodynamisme propre à la Panhard-CD ?

 Charles Deutsch :

Il a fallu d’abord établir un plan au 1/5, discuter avec l’aérodynamicien qui voit le fonctionnel avant l’esthétique, établir la maquette, l’étudier en soufflerie, apporter les modifications en fonction des résultats de l’étude en soufflerie, établir le plan grandeur nature, discuter de nouveau avec l’aérodynamicien, repasser en soufflerie.

Certaines phases de ce travail ont été répétées plusieurs fois.

Le travail est très long mais il est payant : entre le premier modèle et le modèle définitif, nous avons réalisé un gain de 10% sur le Cx (coefficient de pénétration aérodynamique de la voiture dans l’air).

Nous avons réussi avec un Cx légèrement inférieur à 0,15, à réaliser l’une des berlines les mieux profilées qui soient actuellement, sinon la mieux profilée.

Europe-Auto :

Vous disiez que la mécanique est restée celle d’une voiture de série.

Mais les performances de votre voiture sont bien supérieures à celles d’un PL17 Tigre.

Cela s’explique seulement par un meilleur aérodynamisme ?

Charles Deutsch :

Nous avons naturellement accompli des recherches minutieuses sur le moteur, notamment sur son alimentation. Mais les bielles et le vilebrequin sont exactement les mêmes que ceux du Tigre.

Dans la culasse qui a gardé sa configuration de série, nous avons agrandi les soupapes et les passages : l’arbre à cames a dû naturellement être adapté aux exigences de la course.

Ces modifications ne se justifieraient pas dans la grande série.

Notre rapport chevaux/litre est, sauf erreur, le plus élevé que je connaisse : il n’y a pas d’autres moteurs culbutés qui arrivent à dépasser, comme le Panhard, les 85cv DIN (95 cv SAE) par litre de cylindrée.

Europe-Auto :

Et le choix des rapports, toujours difficiles au Mans ?

Charles Deutsch :

Tous les pignons sont des pignons Panhard.

Nous les avons choisis dans la gamme des pignons Panhard en fonction des nécessités que le circuit impose à la boite.

Un détail amusant : l’un de ces jeux de pignons vient de la fourgonnette Panhard.

Europe-Auto :

Que pouvez-vous nous dire sur la course ?

Etienne de Valance :

La course s’est déroulée selon nos prévisions.

A la 6ème heure, nous étions troisièmes et quatrième.

L’accident survenu à la passerelle Dunlop à l’une de nos voitures concentrait nos chances sur la voiture n°53 pilotée par Guilhaudin et Bertaut, qui suivaient la Fiat-Abarth de Masson et la Ferrari de Rodriguez.

La course devait se jouer à l’aube du dimanche.

A 7heures du matin, la Panhard n°53 était passée à la deuxième place à 6/100 de l’Abarth.

Il ne restait plus que 4/100 d’écart une heure après.

A 9 heures du matin, la bataille avait tourné à notre avantage : nous étions premiers, précédant de 5 tours la Bonnet, en seconde position à 40/100 d’écart.

Seule une grande malchance pouvait désormais nous ravir la victoire.

Nous avons réglé notre allure sur celle de la voiture qui nous suivait.

Si elle accélérait, nous accélérions à notre tour.

A l’arrivée, la Panhard avait gardé encore 4 tours et demi d’avance.

Le cauchemar des dernières heures prenait fin…

Victorieuse à l’indice de performance, notre Panhard était également première des voitures françaises au classement à la distance, elle avait fait pendant la course, plus de kilomètres que la voiture victorieuse dans la catégorie des 1.000 cc…

Charly  RAMPAL     d’après le journal Europe-Auto