C’est le jeudi 1er octobre 1959 que s’ouvrait au Grand Palais à Paris, les portes du 46ème Salon de l’Automobile.

Si le stand Panhard affichait la toute nouvelle PL17, l’objet de cet article est de se tourner vers le stand Pichon-Parat, fort bien situé juste à l’entrée principale du Grand Palais où les deux carrossiers de Sens font preuve de leur éclectisme en montrant de minuscules Vespa spéciales à côté d’une énorme Cadillac commande par Raymond Loewy.

C’est au milieu de ces extrêmes que nous, panhardistes, découvrons un magnifique cabriolet,  qui sera leur dernière création sur base Panhard.

Puisque nous arrivons au bout du bout des carrossiers français, faisons un rappel historique pour rendre un hommage appuyé à cette vocation qui va disparaitre.

HISTOIRE DES CARROSSIERS FRANÇAIS

II est probable que le premier charron, ancêtre du carrossier, naquit avec l’invention de la roue dans l’Antiquité.

Que ce soit à cheval ou sans chevaux, de luxe ou de série, carrosseries et véhicules sont toujours aux rendez-vous de l’Histoire.

Elles sont synonymes de civilisation et de progrès.

Ainsi, lorsque l’Empire Romain bascule et retourne à la barbarie, les routes étant abandonnées, on ne circule plus qu’à cheval.

Tributaires de la route, le char, la charrette, le chariot, le coche et le carrosse ne réapparaissent qu’au Moyen-âge.

Le charron était l’artisan essentiel de la vie quotidienne puisqu’il fabriquait et réparait les charrettes, les chariots.

Vers 1400, un français construisit le premier carrosse pour Isabeau de Bavière.

Puis en 1498, sous le règne de Louis XIII, la profession de Charrons, jusqu’à lors rattaché aux charpentiers, est officiellement reconnu par le Prévôt de Paris.

Enfin, le 7 décembre 1658, le Roi Louis XIV signait les lettres patentes confirmant les statuts des Charrons et des Carrossiers.

C’est ainsi que les deux métiers sont réunis dans la même Ordonnance.

Très vite, la réputation des Carrossiers Français se répand en Europe ou leur production est exportée et copiée.

Le carrosse qui était fabriqué sur mesure, tel un bijou, était l’apanage des Nobles ; plus tard il deviendra également celui des grands bourgeois.

Un maître carrossiers conduisait dans son atelier une dizaine de corps de métiers : le peintre des armes et des panneaux, l’ébéniste, le sculpteur sur bronzes, le doreur, le brodeur, le passementier, et le carrossier qui maniait l’art de travailler le cuivre, la tôle et le bois.

Au XVIIIe siècle, les carrossiers Anglais ravissent la première place aux Français.

Néanmoins, au Second Empire, les carrossiers tricolores retrouvaient leurs lettres de noblesse grâce à la renommée des maisons Auscher, Belvalette, Binder, Girard, Kellner, Millionguiet, Rotschild.

Au siècle suivant, les véhicules à roues se développent au rythme de la Révolution Industrielle.

C’est d’ailleurs à un serrurier charron, Pierre Michaux, que l’on doit l’invention du vélocipède.

En effet, c’est en réparant une antique draisienne qu’il eut l’idée d’ajouter sur la roue un axe et des pédales de chaque côté. C’était en 1861.

Avec le progrès, les carrosses font place aux premières automobiles qui dérivent directement des techniques et des réalisations des fabricants de voitures hippomobiles.

Animés par la nécessité d’innover et en constante recherche, les professionnels français fideles à leur réputation, conçurent des carrosseries adaptées à ces nouveaux véhicules à moteur.

Le carrossier participait étroitement à la fabrication des véhicules, puisqu’il les construisait entièrement (roues, essieux, suspension et évidemment carrosserie…).

Au début du XX° siècle, avec l’arrivée des premières Ford, la carrosserie passe du « sur mesure » à la « confection », les carrossiers habillant les châssis fournis par les constructeurs.

Cette période sera l’âge d’or de l’automobile française dont les noms prestigieux font désormais partie de notre imaginaire Delahaye, Delage, Talbot, Bugatti, etc.

A la Belle Epoque, le Tout-Paris attachaient autant d’importance à l’élégance des carrosseries qu’aux modes féminines et masculines.

Dans les années vingt et au début des années trente, le critère de vitesse prit de l’importance.

Moins massives, plus esthétiques et aérodynamiques, les œuvres des carrossiers adoptent de nouvelles lignes (on se souvient des maisons CHAPRON, CHARBONNEAUX, FIGONI, FRANAY, GUILLORE, KELLNER, LABOURDETTE, POUR-TOUT..)

Leurs créations sont entrées dans la légende de l’automobile.

Après la Guerre, la voiture se démocratise et l’activité de la carrosserie réparation doit s’adapter et développer d’autres cordes à son arc pour ne pas disparaître.

Le carrossier ne fabrique plus de véhicule, il les adapte à des usages particuliers.

Ainsi naissent des petites séries de voitures publicitaires, par exemple pour le Tour de France, des cars de luxes, des cabines, des fourgons médicaux, des véhicules militaires, des bennes, des citernes, des véhicules utilitaires, etc.

Mais certains, tenaces et ingénieux n’abdiquent pas et les éléments mécaniques Panhard ou Renault les inspirent.

Le début des années cinquante verra une cohorte de petits carrossiers de génie donner une impulsion moderne à la carrosserie automobile.

Pichon et Parat sont de ceux là.

Deux associés, deux amis qui des les premières années de l’après-guerre ont des idées à mettre en pratique au niveau de la carrosserie.

André Parat demeurait à Villefranche sur Saône mais il venait souvent à Sens où il avait de la famille et son camarade Bernard Pichon qui s’intéressait comme lui au travail de la tôle, mais pas au même niveau.

Parat avait un brevet de soudeur aéronautique obtenu après un stage dans une école de chaudronnerie où il avait appris à marteler les métaux les plus divers.

Pichon possédait des dons plus artistiques et il crayonnait à tous moments des carrosseries imaginées en modifiant des voitures de série.

Les deux copains perçurent vite leur complémentarité et ils décidèrent de s’associer, l’un créant de nouvelle forme que l’autre réaliserait à l’atelier.

Ainsi naquit leur petite entreprise dans laquelle ils commencèrent à transformer de grosses berlines américaines en breaks.

Ils avaient choisi des véhicules haut de gamme afin que le coût de leur intervention ne semble pas trop disproportionné en fonction du prix de la voiture.

Après les breaks américains, les sénonais Bernard Pichon et André Parat ont modifié des Ford Vedette, voiture proche des américaines et qui offraient aussi une certaine marge qu’en au prix de revient.

De plus, les deux associés détestaient le dos rond de la Ford française.

Des 1950, ils commencèrent donc à proposer des Vedette habillés en break ou en berline 3 volumes.

Encouragés par les résultats, ils souhaitaient se faire connaître au Salon de Paris d’octobre 1951 avec deux modèles bien différents : un berline tri-corps Vedette et un coupé 4 cv.

Simultanément, ils ont prévu une évolution de leur break Vedette et une transformation facilement adaptable à la berline 4 cv.

Puis progressivement, ils vont élargir leur gamme avec la nouvelle Renault Frégate et, j’allais dire naturellement, des carrosseries spéciales sur châssis et ensemble mécanique Panhard, tant le package de la Porte d’Ivry méritait un tel concept esthétique d’avant garde.

C’est ainsi qu’au printemps 1953, un coupé connu par le nom de « Dolomites » sera le point de départ d’une petite série.

Le 15 mars de cette même année, Pichon et Parat annoncent dans l’Auto-Journal, un nouveau coupé sur base de Junior.

C’est un modèle fermé type fastback et un autre avec lunette AR panoramique qui apporte une protection contre la pluie, le vent et le froid inconvénient de base au modèle de série de chez Panhard.

Sa carrosserie aux lignes agréables permet à cette Junior spéciale de participer avec succès à divers concours d’élégance.

Dès lors cette base mécanique ne les quitte plus.

Au Salon d’octobre 1953, 3 modèles basés sur la mécanique Panhard, ornent leur stand.

Un nouveau coupé et un cabriolet encadrent la « Dolomites » qui fait déjà l’objet d’une série importante et restera au programme des deux carrossiers de Sens pendant plusieurs années.

Le plis est pris, il deviennent locataires attitrés du Salon de l’Automobile.

A celui d’Octobre 1954, à côté de l’éternelle « Dolomites », un coupé Salmson 2300 allégé de près de 300 kg par rapport au coupé d’origine trône majestueusement écrasant de sa masse la frêle Panhard.

Et les Salons se succèdent au rythme de carrosseries nouvelles sur : Dauphine, Aronde, BMW et dernière expérience, avec le visionnaire Raymond Loewy concrétisé par un magnifique coupé aux lignes avant-gardistes.

Au Salon de Paris 1957, les deux associés de Sens profitent encore des effets de l’excellente publicité acquise quelques semaines plus tôt en présentant l’original coupé BMW de Raymond Loewy — le célèbre styliste franco-américain -.

Celui-ci figure en bonne place sur leur stand, accompagné de deux autres modèles préparés dans leurs ateliers : un coach surbaissé 403 Peugeot et un break 4 portes Dyna Panhard base d’une petite série que les deux carrossiers réaliseront en 1958 et 1959.

L’année suivante en octobre 1958, le break Panhard est accompagnés d’un cabriolet sur base de Dyna Z avec un avant complètement transformé côté agressivité et angulosité : visière de phare très prononcé et maxi calandre, alors que le break, qui reprend les visières de phare et a droit qu’à une minuscule calandre ovale, le cabriolet est esthétiquement des plus discutables.

Salon d’octobre 1959. Comme il l’a déjà fait en 1957, Raymond Loewy s’est adressé à Pichon et Parat pour leur faire transformer une Cadillac à partir de ses plans.

A côté de ce mastodonte qui occupe une bonne part de leur petit stand, les deux associés exposent des petites Vespa de Plage et un cabriolet établi sur le soubassement d’une Dyna Z qui devient cette année là : PL 17.

C’était la dernière fois que Pichon Parat présentait une carrosserie spéciale sur une base Panhard Dyna à moteur Tigre. La plateforme avait été raccourcie de 31 cm. Avec un poids de 620 kg, ce cabriolet pouvait atteindre près de 140 km/h.

Cette décapotable sera la dernière carrosserie spéciale élaborée à partir d’une mécanique Panhard.

Elle se singularise par son pare-brise qui utilise la lunette arrière d’une berline Panhard de série.

Quelle ne fut pas ma surprise et ma joie de redécouvrir cette magnifique et unique voiture à Rouen sur le stand de Joel Brunel… !

Enfin restaurée et pimpante sous sa livrée grise.

Du beau travail, car l’ayant vu dans « sa réserve » ou milieu d’autres modèles rares, je ne pouvais m’imaginer que je la reverrai un jour dans un Salon.

Aussi, pour vous chers lecteurs qui n’avaient eu la chance d’avoir ce coup de cœur, je vous en offre cette saga de photos détaillées sur la bête.

Merci encore à Joël d’avoir remis sur pied une voiture d’exception qui n’a jamais roulée… !

RETROMOBILE 1993

Avec le D.C.P.L., dont je faisais parti jusqu’en 2010, j’ai la chance d’animer tous les salons et en particulier tous les Rétromobile avec la section Ile de France. Cette bénédiction, m’a permis de rencontrer toutes les personnalités du monde Panhard et c’est à celui de 1993 que nous avions invité André Parat avec qui j’avais pu longuement échanger et qui me permet aujourd’hui de vous faire partager un peu de son histoire et cette dernière photo en son honneur.

Vous reconnaitrez (peut-être) de gauche à droite : Bernard Vermeylen, Jean Favarel, Dumoussaud, Charly Rampal, Bertrand Hervouet, André Parat, Gérard Dantan, Frach et Misson.

Hélas 2 ans après, André Parat était victime d’un accident de la route le 24 novembre 1995.

L’entreprise était radiée des registres officiels le 30 novembre 1983. Bernard Pichon était décédé le 19 juin 1979 à l’Hôpital Ambroise Paré de Boulogne Billancourt à seulement 56 ans.

Aujourd’hui, il ne reste plus grand monde de cette belle épopée, les années bonheur quoi…

Charly RAMPAL