De stature imposante, son éternel chapeau vissait sur sa tête, Louis Bionier demeure, au même titre que Louis Delagarde, responsable du développement mécanique, l’un des personnages incontournables dans l’histoire de la marque Panhard.

Ces deux hommes au tempérament différent connaissent pourtant des destins parallèles.

Né en 1898, les deux hommes entrent chez Panhard et Levassor à quelques années d’intervalles : 1915 pour Bionier et 1921 pour Delagarde.

Si ce dernier fait de brillantes études à Centrale, Bionier quant à lui, est un autodidacte.

Louis Bionier est né à Alfortville, perd à l’âge de 9 ans son père qui construisait des bicyclettes. Cette disparition le force à quitter l’école deux ans plus tard, après avoir passé son certificat d’étude et à travailler pour aider sa mère.

Une fois son certificat d’étude en poche, il commence son parcours professionnel comme apprenti avant de débuter comme ajusteur-outilleur à l’avenue d’Ivry en 1915.

Le soir, il suit les cours à l’école pratique.

Travailleur acharné et dévoué, il fait son apprentissage durant les années vingt, période durant laquelle il est affecté à différentes tâches.

La consécration arrive en 1929 lorsque Paul Panhard, qui l’estime et le remarque, lui confie le poste de chef des études carrosseries où il va pouvoir exprimer son goût du travail de qualité, son intelligence et sa volonté.

Il va travailler sous la direction de Jean Fauchère alors directeur des Etudes et bras droit de Paul Panhard qui le considérait comme son fils. Notons que Jean Fauchère est le père du fameux moteur 4HL : nous en reparlerons dans un article qui lui sera consacré.

A partir de là, toutes les réalisations de la société jusqu’en 1967 portent son empreinte.
A commencer par les magnifiques 6 DS et 8 DS au début des années trente qui représente un tournant esthétique pour la firme.
Ces modèles nouveaux avaient été exposés pour la première fois au Salon d’octobre 1929 avec des carrosseries d’une ligne assez classique.
Dès l’année suivante, Panhard et Levassor présente une berline 6 DS dont l’allure résolument moderne assène un coup de vieux aux précédents produits de la marque.

Suivent en 1933 la Panoramique puis la Dynamic et son volant central en 1936. Une voiture riche en innovations techniques, mais aussi esthétiques. Louis Bionier a conçu pour 6 passagers assis sur deux larges banquettes, une carrosserie originale aux formes très arrondies, utilisant la technique nouvelle de la caisse monocoque. Avec ses ailes enflées, des roues abritées, un capot massif et des phares encastrés répétant la forme de la calandre.

D’où sera issu un magnifique coupé aux lignes fluides et élancées :

Durant l’Occupation, Louis Bionier et l’ensemble du bureau d’études se réfugient à Tarbes où le constructeur s’installe rue de la Petite Vitesse dans un ancien hangar de la SNCF.

Oublié par le Plan Pons, Panhard et Levassor profite de l’appui, auprès du Ministère de l’Industrie, de l’Aluminium français et de son projet de petite voiture développée par Jean-Albert Grégoire pour sauver sa place au sein des constructeurs nationaux.

La collaboration avec ce dernier ne fut pas pour Louis Bionier un long fleuve tranquille, chacun défendant ses intérêts, mais l’un et l’autre partageaient néanmoins, le même point de vue sur les apports de l’aérodynamisme en matière d’économie et de performances.

Après 1945, les deux contributions principales de Louis Bionier seront l’emploi rationnel des alliages légers en carrosserie pour les carrosseries automobile et le choix des formes arrondies, de préférences à des lignes plus droites et plus sèches.

Dans cet esprit, c’est lui qui aura la charge de concevoir la petite Dyna X d’après-guerre, ainsi qu’un modèle original de recherche de style et d’aérodynamisme : la Dynavia.

Avant-gardiste, Louis Bionier signe ensuite la Dyna Z en 1953 puis son évolution, la PL 17

Finalement, sa dernière création pour le compte de Panhard, la 24 CT, restera comme la plus remarquable de ses réalisations. Futuriste dans son style, elle a très peu vieilli. Ses proportions sont remarquables, une ceinture de caisse basse et tendue, une inclinaison de pare-brise et de la custode, une intégration optimisée des feux avant et arrière, des pare-chocs et des poignées de porte.

Quand la firme Panhard sera absorbée en 1965 par Citroën, Louis Bionier est intégré dans l’équipe des stylistes du Quai de Javel.

Ainsi, son ultime projet sera réalisé dans des délais records à la demande de Citroën. Dessinée avec la collaboration de René Ducassou-Péhaut (qui oeuvra aussi sous ses ordres de Bionier pour la 24 CT), la Citroën Dyane connaitra une belle carrière commerciale jusqu’en 1984, puisqu’elle sera fabriquée à presque un million et demi d’exemplaires.

Affecté par la disparition de la marque, celui qui incarne le mieux, avec Delagarde, l’esprit Panhard, prend sa retraite en délaissant l’automobile.,

Toutefois, si son parcours est parfaitement connu à travers ses réalisations, l’homme qu’il était demeure secret, voire mystérieux.

Peu expansif mais homme de tempérament, Louis Bionier préférait le calme de son bureau d’études aux feux des projecteurs.
Le cliché ci-dessous où il pose devant la maquette de soufflerie de la Dynavia est un des rares et nous le devons à Benoit Pérot.

Les différents témoignages de ceux qui l’ont côtoyé le décrivent comme un ingénieur discret et pudique.
C’est d’ailleurs pour raison qu’il détestait figurer sur les photos et encore plus discuter avec les journalistes qu’il n’hésitait pas de qualifier de « baveux ».

Surnommé « Dieu le père », il appréciait le respect de la hiérarchie et de l’autorité à tel point qu’il fallait obtenir l’autorisation des Panhard pour le déranger dans son bureau.

Mais en dehors de sa vie professionnelle, il affectionner particulièrement la musique (le violoncelle) et la photographie. Son esprit artistique le pousse aussi à s’occuper des fleurs de son jardin.

Il se livrait aussi et avec passion au cinéma amateur, ainsi qu’aux travaux manuels esthétiques, réalisant notamment les décors du studio de photographie tenu par son épouse.

Fin observateurs des éléments naturels, il passera des heures à photographier des gouttes de pluie ou les poissons de son aquarium, une source d’inspiration pour ses études aérodynamiques.

Preuve de sa discrétion, Louis Bionier n’a laissé que peu d’écrits de son œuvre.

En 1955, il rédige un article, intitulé « L’esthétique et l’industrie automobile », dans la revue « Nombre d’Or » où il expose sa vision rationnelle du style : L’esthétique, cet art qui ne doit rien, ni à la mode passagère ni au hasard du coup de crayon, un art tout entier contenu dans la stricte obéissance à la rigueur de lois physiques aussi vieilles que l’univers : la plus belle machine est celle qui répond le mieux et le plus économiquement à sa fonction. »

Charly RAMPAL

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