MICHELINE : POURQUOI ET COMMENT
C’est en septembre 1929, lors d’un voyage en chemin de fer, qu’André Michelin, malgré sa fatigue, ne peut trouver le sommeil.
Le martèlement des roues sur les joints de rails secouant le wagon lui interdit tout repos.
Néanmoins, son insomnie sera profitable à son industrie : pourquoi ne pas mettre des pneumatiques aux trains, ce qui éviterait le contact acier contre acier.
De retour à Clermont-Ferrand, il convoque ses ingénieurs :
-« Vous savez ce qu’est un rail de chemin de fer, et vous savez mieux que personne ce qu’est un pneu ! Alors, faites rouler l’un sur l’autre afin de donner un peu de confort à ces voyages ferroviaires. »
La réponse qu’il reçoit est aussi sèche que son ordre :
-« Mais Monsieur Michelin, c’est comme si vous nous demandiez de marcher pieds nus sur la lame d’un couteau ! »
QUELS SONT LES PROBLEMES
En théorie, l’ingénieur qui répond à André Michelin a raison.
Il y a une grande différence entre un pneu de camion qui repose largement sur le sol et ce même pneu jugé sur les 55 mm de rail.
Impossible de créer ce pneu sur des bases existantes.
Le travail des ingénieurs devra porter sur l’élaboration d’un produit entièrement nouveau, plus étroit et guider ce pneu à l’aide d’un disque métallique d’un diamètre plus grand que celui du pneu appelé « boudin de guidage ».
Le premier pneu réalisé ne peut supporter que 700 kg.
On est bien loin des charges que peuvent supporter les pneus de camions de l’époque qui ont du mal à supporter 5.000 kg.
Le problème est important : comment faire rouler un camion sur des pneux très fins dont la limité est 700 kg ?
Aussitôt, les efforts des ingénieurs se portent plus sur l’étude du véhicule que sur le pneumatique.
Le camion envisagé pour ces premières études se révèle trop lourd et multiplier les roues en trop grand nombre n’est pas la bonne solution non plus.
Les ingénieurs sont alors contraints d’alléger au maximum le camion.
En matière de véhicule ferroviaire, les chocs, les secousses et autres trépidations sont très importantes et augmentent d’intensité avec la vitesse.
Heureusement les ingénieurs vont pouvoir alléger grâce au pneumatique qui précisément va diminuer largement les trépidations de toute sorte.
C’est alors une recherche pièce par pièce de tout ce qui peut être allégé ou même supprimé.
La première étude se porte sur les plaques de garde (pièces qui maintiennent l’essieu en place) et qui reçoivent directement les chocs.
Sur une roue en fer cette pièce pèse 47 kg.
Les ingénieurs vont l’alléger à 7,7 kg en la criblant de trous.
Toutes les autres pièces qui composent le wagon, vont passer à la balance, m^me le plafonnier qui pèse dans un wagon traditionnel, 2,750 kg, sera remplacé par un plafonnier en aluminium ne pesant que 740 grammes.
Des porte-manteaux aux sièges jusqu’à la poignée de la chasses d’eau, tout sera allégé.
Bien plus tard, quand la Micheline roulera en traction électrique, 1/3 du poids sera gagné par l’examen de chaque pièce du moteur.
Rappelons que le poids mort par voyageur est de 1.000 kg en chemin de fer traditionnel, de 140 en autobus et de 125 seulement sur une Micheline électrique de 1946.
LES ESSAIS
Les premiers essais sont effectués sur un tronçon de rail dans l’usine de Clermont-Ferrand en octobre 1929 avec une 40 cv Renault bricolée pour la circonstance et dont le but est avant tout de tester des pneumatiques de série sur le métal des rails.
Seule concession au chemin de fer, des flasques de guidages sont montées sur les roues.
Ces essais détermineront les modifications à apporter au pneumatique mais la petite longueur des rails de l’usine ne permettent pas d’essais de vitesse.
Il faut demander à une compagnie de chemins de fer l’autorisation d’effectuer des essais sur leur réseau.
C’est ce qui sera fait et qui permettra en janvier 1930 d’étudier sur le réseau P.O. une nouvelle voiture munie des premiers pneus spéciaux étudiés et fabriqués en hâte dans l’usine de Clermont-Ferrand.
L’autorisation est accordée par le P.O. d’effectuer des essais sur la ligne Laque-ville-Mont Dore.
Très rapidement les ingénieurs touchent du doigt des problèmes nouveaux inérants à la vitesse : marche en lacet, mouvements de galop, tangage résultant de l’allègement à outrance.
La voiture essayée cette fois est une autre 40 cv Renault considérablement allongée et munie de 6 roues.
Cette 40 cv atteindre néanmoins 95 km/h attestant que les ingénieurs Michelin sont sur la bonne voie.
Il est temps maintenant de réaliser un nouveau véhicule capable d’emmener des voyageurs.
Ce prototype voit le jour en octobre 1930.
Il est basé sur des éléments Panhard.
Une année seulement s’est écoulée depuis qu’André Michelin a exprimé son désir de voir des trains sur pneus.
LA VRAIE MICHELINE
Le 26 janvier 1931, André Michelin présente la Micheline-Panhard aux directeurs des Chemins de Fer Français sur la ligne Issoudun-Saint Florent.
Cette ligne a été mise à la disposition de Michelin par le réseau d’Orléans.
André Michelin décèdera deux mois plus tard et ne pourra assister à la présentation officielle de la Micheline à la presse internationale le 23 juillet 1931.
Pour cette occasion la Micheline-Panhard abandonne sa calandre, son capot et ses ailes qui la font trop ressembler à un camion (Panhard).
En l’absence de son frère, c’est Marcel Michelin, entouré de ses cadres qui présente à la presse quatre automotrices « Micheline ».
C’est lui-même qui s’installera aux commandes de ce que l’on appellera les Michelines, les grands journalistes spécialisés de l’époque sont là : Charles Faroux, Baudry de Saunier, Maurice Philippe, etc…
Tous feront dans leurs journaux respectifs l’éloge de ce nouveau véhicule, très impressionnés par le confort, la vitesse et la sécurité rencontrés pendant leurs essais.
Afin d’être spectaculaire et faire taire les détracteurs du pneu sur rail dont le principal argument est la crevaison, les ingénieurs de Michelin réalisent en cours du parcours un éclatement de la valve de la chambre à air.
Les journalistes qui roulent alors à 80 km/h entendront la déflagration mais ne sentiront aucun tangage jusqu’à l’immobilisation du véhicule.
Ce sont des journalistes ravis qui se sépareront au soir de cette présentation officielle et qui écriront qu’ils viennent de vivre une date historique à partir de laquelle les lourdes locomotives à vapeurs ont leurs jours comptés.
Pendant les deux mois qui vont suivre, trois Micheline-Panhard accompliront quotidiennement et sans une panne le trajet Coltainville-Saint Arnould (Réseau de l’Etat).
C’est le 10 septembre 1931 qu’une Micheline expérimentale à moteur Hispano-Suiza accomplira le trajet direct Paris-Deauville (220 km) en 2h03, à la moyenne horaire de 107 km, alors que le train le plus rapide sur cette ligne ne dépasse pas les 85 km/h !
A bord de cette Micheline-Hispano, de nombreuses personnalités : M. Colas, Maire de Deauville, M. et Mme André Citroën et Marcel Michelin, encadrent de nombreux invités.
La campagne de presse que Michelin a orchestrée depuis le début de l’année 1931 porte ses fruits.
En un an beaucoup d’encre a été versé et beaucoup de films imprimés pour faire connaitre la Micheline.
Les Français la connaissent et n’en ont pas peur, bien qu’ils ne soient jamais monté dedans.
Poursuivant sa campagne d’information, une caravane Michelin sillonne la France sous l’égide de l’Automobile Club de France : partout la curiosité est à son comble.
Le 21 mars 1932, deux Micheline-Panhard (dont une en réserve) assurent les services entre Charleville et Givet (réseau de l’Est).
Ces services seront prolongés jusqu’à Dinant à partir du 14 juillet (86 km).
A partir du 22 mai de la même année, la compagnie de l’Etat fait rouler elle aussi deux Michelines (24 places) assurant les services Argentan-Granville (131 km) et Argentan-Alençon (43 km).
Rapidement la Micheline sera adoptée par de nombreux pays : la Belgique, les Etats-Unis (qui aura une forme particulière), l’Angleterre, l’Italie et la Hollande en 1932. Le 18 janvier 1933 la première Micheline entre en service à Madagascar et en Indochine. C’est une 18 places, voie d’un metre.
LES DIFFERENTS TYPES
Ces michelines ne sont pas toutes pareilles : depuis le prototype des débuts, le concept a évolué dans son aspect extérieur que dans sa conception mécanique.
Les premiers modèles étaient équipés du 4 cylindres Panhard Sans-Soupapes, accouplé à une boite Panhard à 4 vitesses + marche arrière.
Certains modèles ne possèdent qu’un seul poste de pilotage et un seul sens de marche en exploitation, d’autres sont équipés d’une transmission mécanique avec inverseur des 4 vitesses : ces derniers ont un poste de conduite normal à l’avant et un poste de pilotage à l’arrière permettant une exploitation dans les deux sens.
Si la micheline évolue « en marche arrière », le pilote installé dans le poste de pilotage arrière transmet ses instructions via un klaxon, suivant un code spécial, au chauffeur installé dans le poste de conduite habituel.
Les michelines sont équipées de deux circuits de freinage indépendants (1 frein au pied et un frein à main).
Les freins sont hydrauliques système Lockheed, sur toutes les roues (10 à 12 suivant les cas).
Le bogie avant (moteur) comporte en fait deux essieux moteurs reliés par chaines et un troisième simplement porteur.
Le refroidissement du moteur est assuré par des radiateurs situés le plus souvent sur le toit à hauteur de l’élément moteur.
Les premières michelines sont presque des camions ou des autocars sur rails.
Certaines, comme celle livrées en Indochine fin 1932, gardent même la calandre Panhard d’origine.
Par la suite, les michelines auront un aspect spécifique, d’ailleurs très aérodynamique, comme la micheline type 15 de 36 places apparue en 1933.
Extérieurement, cette micheline possède d’ailleurs un air de famille évident avec les berlines Panhard : il suffit de regarder la découpe des vitres latérales.
Les performances de ces michelines sont tout à fait décentes : elles atteignent une vitesse maximale de 90 km/h, pour une vitesse de croisière de 80 km/h environ.
A partir de 1936, Panhard produit un V12 sans soupapes à essence dérivé d’un moteur d’avion, qu’il monte dans la micheline type 23 capable de transporter 100 passagers.
20 exemplaires de ce type 23 seront produites jusqu’en 1939.
Développant 400 chevaux à 1600 t/mn, il est associé à un coupleur hydraulique et à une boite électromagnétique Cotal à 4 vitesses.
En 1938, le moteur V12 Panhard équipera aussi 3 autorails de Dietrich à gazogène, puis 5 autres en 1942.
Un peu moins puissant, ce V12 développe 270 chevaux.
Les dernières michelines à moteur Panhard resteront en service sur le réseau français jusqu’en 1954.
Charly RAMPAL
(documents Panhard-
Michelin, La Vie du Rail, L’Enthousiaste texte et photos de Dominique PASCAL)