LA CLEMENT PANHARD ET LEVASSOR DE 1898
En 1898, les constructeurs d’automobiles n’hésitent plus devant le succès croissant de la locomotion automobile, à s’inspirer des gouts multiples de leur clientèle, et à construire des modèles de voitures différents pour satisfaire les désirs des usagers.
Aussi nous voyons les grandes firmes produire des véhicules de forme et de puissances variables.
Les Etablissements Panhard et Levassor font établir, dans leurs bureaux, d’études, entre autres modèles, une petite voiture à deux places mue par un moteur monocylindre d’une puissance d’environ 3 CV.
L’aspect en est élégant, la maniabilité extrêmement aisée, aussi, convient-elle parfaitement à la promenade et peut être mise dans les mains les plus délicates des dames « chauffeuses ».
Cette petite voiture est néanmoins capable de couvrir de longues randonnées.
L’une d’elles fit le voyage de Paris et Dijon à une moyenne de 28 km/h.
Nous-mêmes, en 1934, avons effectue le parcours Paris-Châteaudun-Paris (288 km.) dans la journée.
DESCRIPTION
Cette voiture légère ne comporte pas de châssis.
Le bloc moteur sur lequel repose la carrosserie est relies au train avant par les longerons de carrosserie elle-même.
La direction, actionne par volant, est légèrement oblique et transmet les manœuvres du conducteur à l’essieu avant par un pignon et une crémaillère à dentures obliques.
L’essieu avant pivote sur un axe vertical place en son milieu.
Ainsi, à la sollicitation du conducteur, au braquage, une roue se déplace vers l’avant, alors que l’autre se déplace vers l’arrière.
Ce système, très doux, étant donne le faible empattement du véhicule, permet des virages très courts.
L’essieu est également pivotant sur le plan vertical
LE BLOC-MOTEUR
Moteur : Monocylindre : 92 x 120 tournant à 600 tours
Le moteur est presque horizontal.
Une très légère obliquité est cependant visible.
II comporte une culasse hémisphérique refroidi par l’eau.
Le cylindre, lui, ne comporte aucun artifice de refroidissement.
Deux volants très lourds, relies par le maneton de à tète de bielle, sont sous carter étanche en alliage d’aluminium.
La soupape d’admission est automatique.
Les gaz explosifs sont fournis par un carburateur Longuemare, de la famille des carburateurs à niveau constant.
Le gicleur de ce carburateur est assez curieux.
Il a la forme d’une soupape conique, sur le champ de laquelle on aurait ménagé de très petites fentes pour le passage de l’essence.
Ce système de carburateur, d’une automaticité pourtant très approximative, donnait d’assez bons résultats et a rallie les suffrages d’un grand nombre de constructeurs.
Sur la tubulure d’admission est dispose auprès de la soupape d’admission, et faisant bloc avec la bride de fixation de cette soupape, un système d’obturation des gaz en forme de boisseau conique et perce de fentes, commandé par le régulateur.
LE REGULATEUR :
Afin de réduire à un régime normal de securit la vitesse du moteur, celui-ci est muni d’un régulateur à boules analogues à celui des machines à vapeur.
Lorsque la vitesse du moteur dépasse le régime de securit, ce régulateur par une combinaison de leviers et de biellettes vient manœuvrer le cône décrit plus haut, et mettre ainsi, en réduisant le volume des gaz aspires, le moteur à la raison.
L’ALLUMAGE :
A l’origine, cette voiture comportât uniquement le système d’allumage par Incandescence, plus communément appelé « à bruleur ».
Mais vers 1900, a été adjoint l’allumage électrique, sans toutefois rejeter définitivement l’ancien système, lequel subsiste encore, et permet, en cas de déficience du système électrique, de continuer la marche, avec d’ailleurs des résultats aussi bons.
Reconnaissons cependant que l’allumage électrique par batteur et bobine à trembleur, permet des départs beaucoup plus rapides.
LE GRAISSAGE DU MOTEUR :
Il se fait par compte-gouttes, avec deux appareils, l’un lubrifiant le cylindre, l’autre, dans le carter des volants, assure le graissage de la tète et du pied de la bielle, et, par barbotage, des arbres du moteur.
L’EMBRAYAGE :
Est du système à cône, garni de cuir.
Le ressort d’embrayage est en lames d’acier du dispositif dit « à pincettes »; il comporte deux couples de ressorts disposés en croix.
LE CHANGEMENT DE VITESSES :
Celui-ci mérite une attention toute particulière.
Tout d’abord, la démonstration en est des plus aisées, presque tous les organes sont à l’air libre.
Une simple carapace de tôle l’abrite (oh! si peu) des poussières de la route.
L’arbre primaire, c’est-a-dire celui qui est solidaire du cône d’embrayage est un tube dans l’âme duquel coulisse une noix munie d’un cliquet.
Ce cliquet peut, par une mortaise longitudinale ménagée dans l’arbre, saillir et venir solliciter tour à tour un des trois pignons d’acier donnant les trois combinaisons de vitesses.
Ce cliquet chanfreine sur sa face dorsale s’efface lorsque la voiture va plus vite que ne l’anime le moteur (en descente notamment) et de ce fait forme un dispositif de roue libre.
Le mouvement de course dans l’arbre de ce cliquet est commande par le conducteur au moyen du levier des vitesses (3 vitesses en marche avant).
Les trois pignons dont nous venons de parler sont constamment en prise sur trois pignons en bronze montes, ceux-ci, sur l’arbre secondaire.
Mais ceux-ci sont tous trois montes sur moyeux a cliquets.
Seul celui que le conducteur met en prise devient moteur, les deux autres tournent sans fatigue, donc sans usure, en roues libres.
L’arbre secondaire comporte un système différentiel – train planétaire à chacune de ses extrémités, en dehors de la carrosserie, est claveté un pignon qui, par l’intermédiaire d’une chaine à rouleaux transmet à la roue arrière correspondante, l’impulsion du moteur.
L’ensemble est sans doute un peu bruyant et rappelle une combinaison assez peu musicale de cloches et de scie circulaire.
Mais à l’époque, on était beaucoup plus tolérant, pour tout ce fracas.
Le graissage de cet ensemble se fait par graisseurs Stauffer à graisses.
LES ROUES :
Elles sont plus petites à l’avant qu’à l’arrière.
Elles sont munies de pneumatiques à talons.
Les pneus aux dimensions d’origine n’ont pas pu être trouvés, mais il a été monté à l’avant des 800 x 70 et à l’arriéré, après une petite transformation des roues des 30 X 3 1/2.
Ce qui convient parfaitement.
LES ESSAIS :
Le départ pour l’essai routier ne manqua pas d’allure.
Toute hoquetant et vibrante d’une joie retrouvée, la voiture partit au premier coup de manivelle.
S’élançant d’un air vainqueur, elle prit avec aplomb son premier virage qui l’amena dans l’avenue Niel.
Le passage des vitesses secoua peut-être rudement ses passagers, mais la douceur de la direction fut une agréable surprise.
Le feu rouge de l’avenue des Ternes permit à notre vénérable Panhard de se faire complaisamment admirer par une dizaine de badauds dans les yeux desquels pouvait se lire un mélange d’incrédulité, d’admiration et d’amusement.
Pour atteindre l’Etoile, la rampe assez dure de l’avenue Mac-Mahon lui sembla une punition injustifiée : refusant systématiquement toutes les vitesses, elle n’accepta de monter qu’en première une allure d’environ 6 km/h.
La traversée de la grande place parisienne fut un triomphe.
Respectueusement, les véhicules modernes cedaient le pas à leur aïeule et quelques coups de klaxon saluèrent son passage.
La traversée du bois de Boulogne se fit sans incident a la vitesse moyenne de 30 km/h.
Au pont de Saint-Cloud, l’autobus 154 s’arrêta et sembla saluer.
Animée des meilleures intentions, notre Panhard 1898 avala en seconde toute la montée et le tunnel de l’autoroute de l’Ouest.
Malheureusement, à sortie de ce dernier, une pluie fine et tenace se mit à tomber.
Recroquevillé, nous ne pûmes que subir ses assauts : la voilure sembla d’ailleurs ne pas se ressentir de cette humidité.
Quelques brutes déchainées nous doublèrent à 120, mais un juste sort nous permit une revanche éclatante – nous rattrapâmes d’un air dédaigneux une voiture tombée en panne deux kilomètres plus loin.
Trempés, nous primes le soin de terminer notre essais malgré une voitures toujours fringante….
Charly RAMPAL (Photos prises à Mulhouse, information techniques archives Panhard et l’essai d’époque du Journal « L’Illustration » de 1934)