Nous sommes en 1905, et l’importante maison, connue sous le nom de « Société anonyme des anciens Etablissements Panard & Levassor » fête son 50ème anniversaire. Lorsque 50 ans plus tôt Monsieur Perrin, le promoteur de la scie à ruban, fonde sa Maison de constructions mécaniques, il est loin d’imaginer que ses ateliers deviendront le berceau de l’industrie automobile.

A cette occasion, la Maison Panhard & Levassor avait édité un catalogue pour ce cinquantenaire et que j’ai retrouvé dans les archives Panhard : je vous le réécrit toujours par soucis d’authenticité.

 » Pendant près de trente ans, la Maison se consacre uniquement à la fabrication des machines-outils pour le travail du bois. Toujours à la recherche de nouvelles branches de l’industrie dans lesquelles les procédés de construction employés dans les machines à bois s’appliquent, l’entreprise se lance dans la fabrication du moteur à gaz du système Otto. Gottlieb Daimler, de son côté en Allemagne, vient d’imaginer son moteur à pétrole utilisé sur des bateaux. René Panhard et Emile Levassor, alors à la tête de la Maison, frappés par les remarquables propriétés techniques de ce moteur, à la fois léger et rustique, acquièrent le droit d’exploitation des brevets Daimler en France et utilisent le moteur, pour une première application, à la propulsion d’une voiture.

Avec ce premier essai, la voiture automobile entre dans l’ère de l’industrie automobile.

Pendant plusieurs années, la voiture automobile à pétrole est surtout un appareil d’expériences ; seuls quelques esprits éclairés entrevoient cependant l’avenir du nouveau mode de locomotion et travaillent avec acharnement.

La Maison, par tradition applique le même soin et la même précision pour la fabrication des moteurs que pour les machines à bois, ce qui va lui assurer une renommée de bon constructeur à toutes les époques de son existence.

C’est à partir de 1894 que le public s’intéresse aux grandes épreuves sportives sur route remportées avec succès par les voitures Panhard & Levassor.

En 1895, dans l’une de ces courses demeurée célèbre, Émile Levassor, conduisant son automobile de 4 chevaux, a parcouru, sans arrêt, 1200 km : Paris -Bordeaux , aller et retour, à une allure moyenne d’environ 24 km à l’heure.

Bien qu’habitués aux puissantes, rapides et confortables machines d’aujourd’hui, il est impossible de ne pas être admiratif devant cette prouesse que beaucoup de sportifs d’aujourd’hui hésiteraient à renouveler avec une voiture de 4 chevaux. [Nous sommes en 1905 I.

A partir de cette date, les succès sportifs de la Maison Panhard & Levassor ne se comptent plus, chaque année apporte de nouveaux triomphes.

AGRANDISSEMENT DES ATELIERS DE PRODUCTION

La maison Panhard & Levassor n’a cependant pas tout sacrifié à l’élément sportif ; soucieuse de donner satisfaction à sa clientèle croissante, elle a, d’année en année, développé ses ateliers tout en perfectionnant son outillage afin de ne pas sacrifier la qualité à la quantité.

Les ateliers de construction de la Société Panhard & Levassor s’étendent sur un immense quadrilatère de près de 40 000 m2 compris entre l’avenue d’Ivry et l’avenue de Choisy.

Quinze cents ouvriers y travaillent dans les meilleures conditions d’hygiène et de confort, et la dernière production s’est élevée à 1200 châssis environ.

Cette quantité est insuffisante et bien que la Société ait créé une vaste annexe à proximité de son usine de réparations, elle a dû augmenter ses moyens de production en faisant l’acquisition d’un terrain de 35 000 m2 environ à Reims pour l’installation de nouveaux ateliers.

PANHARD & LEVASSOR PRESENT SUR LES DIFFERENTS MARCHES DANS LE MONDE

La Société n’hésite pas à créer des comptoirs ou succursales pour assurer à tous ses clients les mêmes garanties de sécurité et de  » sincérité dans les livraisons  » que celles offertes à Paris.

C’est ainsi qu’il y a un an, une succursale a été installée à New-York où ses clients américains trouvent tous les renseignements utiles à l’entretien et la bonne marche de leur voiture.

L’HISTOIRE D’UN CHÂSSIS AUTOMOBILE : DU DESSIN À LA LIVRAISON AU CLIENT

Il n’est personne aujourd’hui qui ne reconnaisse les qualités des voitures Panhard & Levassor, et tout le monde en apprécie, en même temps que la simplicité du mécanisme, la perfection et le fini de leur construction.

Mais il est peu de gens à qui il ait été donné d’assister à la fabrication de ces voitures.

Nous avons voulu aujourd’hui combler en quelque sorte cette lacune, et allons essayer de montrer au public l’histoire d’un châssis automobile depuis le moment où, le type une fois conçu, les dessins sortent du bureau d’étude, jusqu’au moment où le châssis est livré au client.

Les dessins exécutés, les pièces sont commandées dans les premières fonderies et aciéries de France.

À leur arrivée à l’usine, elles sont soumises à des essais qui permettent d’en contrôler la qualité. Les pièces brutes doivent alors être transformées en organes finis et prêts à être montés.

À cet effet, deux immenses ateliers ont été aménagés : l’un chargé de la fabrication des moteurs, l’autre de celle des mécanismes (boîtes à engrenages pour le changement de vitesses, embrayage, freins, etc.).

LE PRINCIPE DE LA FABRICATION EN SÉRIE

Le principe de la fabrication en série est celui qui est appliqué pour la fabrication des voitures Panhard & Levassor.

Il consiste à faire exécuter à une même machine un très grand nombre de pièces du même modèle, et à outiller cette machine de façon que les pièces ainsi produites soient toujours absolument identiques à elles-mêmes, et que leurs dimensions soient scrupuleusement celles indiquées par les dessins.

On est sûr que les pièces ainsi fabriquées sont interchangeables.

De cette façon deux organes qui doivent être montés l’un sur l’autre peuvent être assemblés, sans nécessiter aucun ajustage, et lorsqu’on a une pièce à remplacer, ce remplacement se fait instantanément sans avoir besoin du concours d’un ajusteur expérimenté. –

OUTILLAGE SPÉCIAL ET  » MONTAGE  »

Pour arriver à ce résultat, il a fallu créer un outillage spécial à chaque sorte de pièces à fabriquer, et étudier ce qu’on appelle en terme d’atelier  » un montage « .

C’est un procédé qui permet à l’ouvrier de placer la pièce brute sur sa machine sans qu’il ait de tâtonnements à faire pour la centrer, et cela le plus rapidement possible.

La pièce étant montée, il met sa machine en mouvement et une fois l’opération terminée, la machine s’arrête d’elle-même.

Dégagé de toute autre préoccupation, l’ouvrier consacre toute son habileté et toute son intelligence au parfait entretien de sa machine et de ses outils et en assure le bon fonctionnement.

Aussitôt que les dessins d’un type nouveau sont remis aux ateliers, ils passent au service spécial de l’outillage.

Ce service comprend un bureau d’études et un atelier dans lesquels sont étudiés, fabriqués et essayés les outillages et montages.

SERVICE DE VÉRIFICATION ET ATELIER D’ESSAI DES MOTEURS AVEC LE DYNAMO-DYNAMOMÈTRE

Un très important service de vérification contrôle l’exécution des pièces après chacune des opérations.

La vérification est faite au moyen de calibres comparateurs et autres appareils spéciaux appropriés à chaque pièce.

Les pièces ne sont emmagasinées qu’après avoir subi cet examen sévère.

Des deux ateliers précédemment décrits sortent d’une part des moteurs, de l’autre des boîtes à engrenages.

Les moteurs sont dirigés vers l’atelier d’essai.

Jusqu’à ces temps derniers, on mesurait la puissance des moteurs, à la Société Panhard & Levassor, comme presque partout ailleurs, au moyen du frein de Prony, très précis, mais ayant l’inconvénient de chauffer très rapidement , et de ne permettre que des essais de très courte durée.

Depuis environ deux ans, la Société a adopté le dynamo-dynamomètre pour mesurer la puissance de ses moteurs.

Cet appareil permet de suivre le fonctionnement d’un moteur de la façon la plus précise, en faisant varier à volonté sa vitesse et la charge à laquelle il est soumis.

C’est un véritable frein de Prony, dans lequel les frottements sont remplacés par des réactions magnétiques.

Les indications de l’expérience sont donc absolues et peut être prolongée indéfiniment, puisque loin d’être accompagnée d’un dégagement de chaleur nuisible (comme dans le frein de Prony) 90 % environ du travail produit sont transformés en électricité qu’il est facile de recueillir.

La supériorité du dynamo-dynamomètre a été reconnue telle, que la Société n’ emploie plus que cet appareil pour l’essai de tous ses moteurs.

CEMENTATION ET TREMPE

A côté de l’atelier d’essai des moteurs, se trouve celui de cémentation et de trempe. Cet atelier renferme 6 fours à cémenter et 2 fours à tremper au plomb, et marche de jour comme de nuit.

Les températures y sont réglées par les appareils les plus perfectionnés, permettant ainsi de donner à chaque pièce le degré de cémentation voulu.

ATELIER DE MENUISERIE POUR LA FABRICATION DES ROUES EN BOIS ET DU CADRE EN BOIS

Dans un même atelier, est réuni tout ce qui est relatif au travail du bois, d’une part la fabrication des modèles de fonderie, d’autre part la fabrication des roues et des châssis en bois.

Enfin une troisième partie de l’atelier est réservée au travail de menuiserie proprement dit.

C’est la qu’on fabrique les planches de garde-crottes, les boites pour magnétos et pôles, les collies a outils, etc.

Toutes les machines-outils de cet atelier sont fabriquées par la Société anonyme des anciens Etablissements Panhard & Levassor.

L’origine de la Maison remonte d’ailleurs à la fabrication de ces machines qui occupe encore une place très importante à la Société Panhard & Levassor.

LES DEUX ATELIERS DE MONTAGE DU CHASSIS

Toutes les pièces ou groupes de pièces entrant dans la composition d’un châssis étant prêtes, on procède au montage.

Ce travail s’exécute dans deux ateliers différents :

Dans l’un se fait le montage proprement dit : assemblage des essieux et des ressorts avec le châssis; fixation du moteur, de la boite de changement de vitesse, des leviers de manœuvre, en un mot, le montage de toutes les pièces mécaniques.

Dans le second atelier, on dispose les tuyauteries d’aspiration et d’échappement, les appareils de graissage, les organes d’allumage, les réservoirs, le pot d’échappement, etc.

Le châssis est alors fini.

C’est également dans cet atelier que se fait la pose de la carrosserie, dans le cas où ce montage doit être fait par nos soins.

ESSAI PRATIQUE DE MISE AU POINT

Avant d’être livré, le châssis est soumis à un dernier examen et on s’assure par un essai pratique que son fonctionnement est parfait.

Cette opération, appelée mise au point, est faite dans un atelier spécial et confiée à un personnel de choix.

On commence par faire tourner le moteur sur place, afin de revoir bien exactement son réglage ; puis le châssis, muni d’une caisse provisoire, est essayé d’un bout à l’autre de la grande avenue qui traverse l’usine et ensuite sur la route.

Le châssis est alors prêt pour la pose de la carrosserie exécutée soit par les soins de la Maison, soit par un carrossier.

Une mise au point finale et un dernier réglage sont encore nécessaires.

Ils sont exécutés par notre personnel, dans nos ateliers et sur les routes, et sont l’objet des plus grands soins.

LES ATELIERS DE REPARATIONS

Les ateliers de réparations de la Société Panhard & Levassor sont installés en dehors de son usine principale, sur un terrain d’environ 8 000 m2, autour desquels une piste d’essai a été aménagée.

La voiture qui arrive pour réparation, est aussitôt examinée par un personnel expérimenté qui commence par diagnostiquer le mal.

Elle est ensuite remise entre les mains d’ouvriers qui vont exécuter le travail prescrit.

Il faut autant que possible que l’atelier de réparations se suffise à lui-même, et par conséquent qu’il soit outillé de façon à pouvoir travailler à nouveau certaines pièces ayant subi quelques avaries.

Une partie de l’atelier est réservée aux machines-outils indispensables pour tourner un coussinet, percer un trou, fraiser une portée, etc.

Une autre partie est destinée aux essais des moteurs.

En effet, si le moteur a subi de grosses réparations exigeant le remplacement de pièces, il doit à nouveau être soumis à des essais et des mises au point, comme s’il était neuf.

Enfin la voiture terminée est essayée sur la piste aménagée autour de l’atelier, puis soumise, s’il y a lieu, sur la route à un essai prolongé.

L’HISTORIQUE DE LA VOITURES PANHARD DANS L’ATELIER DE REPARATIONS

L’atelier de réparations de la Société anonyme des anciens Établissements Panhard & Levassor présente continuellement une collection de voitures qui constituent un historique complet de la Voiture Panhard.

C’est là qu’on peut, de temps à autre, revoir les glorieux ancêtres qui constituent la meilleure  » réclame  » pour la maison.

On y retrouve également les premières quatre chevaux Phénix avec leur direction à barre, hautes sur leurs roues caoutchoutées ou même ferrées.

Enfin d’un âge plus avancé encore, quelques antiques voitures Daimler à cylindres en V, vieilles de plus de dix ans, font de temps en temps leur apparition.

Cependant ces voitures roulent toujours et font leur petit service journalier depuis nombre d’années.

Tous les deux ou trois ans, elles reviennent à l’usine pour se faire resserrer un coussinet qui a pris du jeu ou changer une pièce cassée.

Ces résultats sont dus aux traditions des ateliers de la Société Panhard & Levassor.

C’est en employant des matériaux de toute première qualité, et en usinant et traitant suivant l’usage auquel chaque pièce est destinée qu’on obtient ce résultat dont la Société peut s’enorgueillir et qui lui assure la fidélité de sa clientèle. « 

Charly RAMPAL    D’après les Archives Panhard